5. Llewellyn

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Kerun baissa son capuchon humide en franchissant la porte et la lumière de l'âtre embrasa aussitôt sa chevelure rousse en un halo flamboyant. Il faisait chaud dans la salle commune, contraste déstabilisant avec la brume froide qui avait envahi les rues du port. L'elfe décrocha sa cape de ses épaules et la secoua doucement avant de la suspendre à la patère et d'entrer plus avant dans la pièce. Les habitués, des marins pour la plupart, lui jetèrent à peine un coup d'œil, déjà trop imbibés pour percevoir l'étrangeté de sa présence en ces lieux. 

Llewellyn, lui, ne l'avait pas quitté des yeux depuis son entrée dans la pièce. Kerun balaya les lieux du regard, le repéra aisément et se glissa entre les tables, le visage figé dans une expression neutre. Contraste saisissant : un elfe en vêtements simples, gris, gilet de cuir sur chemise de toile, rejoignant un jeune humain souriant au pourpoint bien coupé, mauve sombre et argent. Un musicien, personne ne pouvait l'ignorer : il avait déposé sa viole sur la table, et il rangea quelques partitions sur lesquelles il griffonnait une balade. Il était meilleur compositeur que musicien, cependant, et ne se produisait jamais. Kerun s'immobilisa une seconde devant lui.

« Bienvenue, maître de l'ombre », annonça Llewellyn avec emphase.

L'agent ne put s'empêcher de soupirer en s'asseyant.

« Toujours aussi discret.

— Tu pourrais au moins mettre une perruque. Ou une fausse moustache. Un coussin dans ta chemise.

— Llewellyn...

— Tu n'es pas drôle, Kerun. Pas drôle du tout. »

Le Juvélien n'avait jamais eu l'intention de révéler sa véritable apparence à son confrère esprin, mais les circonstances de leur rencontre, plusieurs années auparavant, avaient été fortuites, et le résultat inespéré. Llewellyn ne manquait jamais une occasion de le lui rappeler, heureux d'inspirer une telle mauvaise humeur à un adversaire qu'il tolérait par obligation et non plaisir.

L'elfe passa deux mains sur son visage et demeura une seconde silencieux.

« J'ai cru que tu m'avais oublié, reprit l'Esprin. Je me sentais presque... abandonné. Bon, je comprends, vu tout le désordre, mais... franchement... J'étais sous la bulle de ténèbres, tu sais ça ? Avec Rachel et Flèche Sombre... J'ai pensé que tu t'en inquiéterais !

— Je m'en suis inquiété. Je n'ai pas eu le temps. »

Llewellyn ouvrit des yeux ronds, avant de rire.

« Je croyais que tu te souciais des ambitions de mon patron.

— Je m'en soucie. Je suis là. Qu'est-ce que tu leur as raconté ?

— Je leur ai envoyé quelques exemplaires de l'Écho. Joshua a fait le travail pour moi. »

Il haussa les épaules.

« Tu voulais me donner d'autres infos ? Sur comment ça s'est terminé ? Dans le Parc ? Bon, je suis sûr que Rachel me dira tout, mais si tu préfères t'en charger... »

Cette fois, Kerun fronça les sourcils.

« J'ai accepté que tu fréquentes le Temple pour des raisons purement... techniques. Si tu commences à exploiter Rachel à d'autres fins, je vais être obligé de t'en interdire le seuil.

— Et comment ferais-tu une chose pareille ?

— En les avertissant de tes intentions. »

Llewellyn secoua la tête, agacé.

« Pourquoi me laisser rester à Juvélys, si c'est pour me couper de mes sources ? »

L'elfe releva le regard puis haussa les épaules.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant