65. Brendan

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Les rues du port bruissaient d'indignation. Même trois ans plus tôt, à la veille de l'avènement de Koneg, Brendan ne se souvenait pas d'avoir ressenti pareille tension. La mise aux arrêts des Valgrians avait bien sûr secoué toutes les strates de la société, mais le caractère cosmopolite du quartier occidental de Juvélys l'avait peut-être davantage préservé du scandale qui régnait au sud, où la petite noblesse était intégralement acquise au Dieu de la Lumière.

Mais maintenant, avec l'épave qui gisait dans la rade, la grogne avait gagné les matelots, Frimaux contre Belhimans, Juvéliens contre provinciaux, de Cefnis à Novogal. Tous s'étaient sentis visés par le sabordage du navire, alors même qu'on ne savait pas exactement ce qui s'était produit.

Les conflits entre marchands étaient généralement gérés par la guilde commerciale ou l'office des douanes, mais il y avait un attroupement autour de la première, et le second avait été fermé par la garde.

C'était Aegyr, un jeune prêtre de Cefnor, qui était venu demander de l'aide aux Mivéans pour calmer les esprits. Les Valgrians étaient absents, les Dywillites désemparés, la garde débordée, et on parlait d'un renfort prochain de l'armée, ce qui alarmait tout le monde. Il y avait bien trop de soldats dans les rues, ces derniers temps.

Brendan fit jonction avec Aegyr en bordure de l'esplanade du marché. Les échoppes étaient fermées pour la première fois depuis la révolution, et le Mivéan ne put s'empêcher de frissonner. Comme un parfum d'autrefois, réminiscences douloureuses.

— Merci d'être venu, s'exclama le Cefnoïte en apercevant le petit groupe de toges couleur pie.

Elfain aux cheveux clairs, bâti comme son père humain, la peau tannée par les grands vents, Aegyr servait d'ordinaire sur une frégate militaire. Brendan lui serra la main.

— Je ne sais pas bien ce que nous allons pouvoir faire, murmura le Mivéan. Certains marins sont des adeptes du Destin, mais c'est loin d'être le cas de tous, et nous ne sommes pas très populaires, en ce moment.

— Toute tentative d'apaisement est bonne à prendre, vraiment.

Brendan acquiesça et se tourna vers le petit groupe qu'il menait : Sonia, Artémise, Anton, Phil. Du travail pour leur changer les idées, effacer l'échec de leurs recherches des dernières heures. Ils en avaient tous besoin.

— Bon.

Il les dévisagea l'un après l'autre.

— Formez deux duos et répartissez-vous dans les rues. Le mot d'ordre est de désamorcer les conflits.

Il se tourna vers le serviteur du Dieu Changeant.

— La garde enquête ?

— Oui. Mais rien n'a filtré, pour l'heure. C'était une goélette belhimanne, spécialisée dans le transport textile, c'est tout ce que je sais.

Brendan grimaça. Les producteurs de laine de la campagne méridionale contestaient la taxation allégée dont bénéficiaient les éleveurs du Delta, ceux-ci se plaignaient des avantages portuaires négociés par l'importante flotte belhimanne, sans parler des disputes sur la qualité de la matière première ou les méthodes d'élevage. Les conflits commerciaux étaient foison, dans l'île, dans plus ou moins tous les secteurs.

— Des victimes ?

— Deux. Le capitaine et son second. Ils étaient les seuls à bord. Enfin c'est la rumeur. Ils doivent renflouer l'épave, encore. Si j'ai bien compris, la marine a dépêché des hommes pour protéger le site. Il nous faudrait un Aqueux, pour bien faire...

Brendan fronça les sourcils.

— Nous avions ça, dans le temps. Un jeune gars blafard... affilié aux Fortebrise, si je me souviens bien.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant