74. Kerun

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Kerun continuait à tambouriner sur la porte, mais avait cessé de crier car sa gorge l'avait trahi. Une heure plus tôt, ou dix, à moins que cela n'ait été une minute. Le choc de chacun de ses coups lui remontait du poing au coude à l'épaule avant d'ébranler toute sa carcasse recrue, mais il ne ressentait plus vraiment la douleur. Toute sa conscience, ce qu'il en restait, se concentrait sur une seule activité, vitale, même si par moments, il ne savait plus bien où il se trouvait et ce qu'il cherchait accomplir.

Puis brusquement, après des années de lutte, la porte s'ouvrit, repoussant l'elfe en arrière. Il garda son équilibre in extremis. Un homme, grand, s'encadra dans l'embrasure de la porte et avança. Deux autres le suivirent, une lanterne à la main. Ils refermèrent derrière eux. 

— Je dois parler au général Maelwyn, parvint à articuler Kerun, d'une voix rauque. C'est extrêmement...

Il ne put terminer sa phrase. Sans prévenir, l'homme qui lui faisait face l'attrapa par le col et lui asséna un violent coup de poing dans le ventre. L'elfe se plia en deux sous la douleur et fut cueilli aussitôt par un second coup, sur la tempe gauche, qui l'envoya au sol.

Ce genre d'agression, s'il n'avait pas souffert des effets secondaires du kuttröthe, il l'aurait anticipée et évitée sans efforts. Il aurait lu quelque chose dans le regard de l'intrus, deviné le mouvement des muscles dans ses épaules, fait un rapide pas en arrière avant de bloquer l'assaut. Mais il était épuisé.

— Le général Maelwyn a autre chose à faire que de venir t'écouter geindre, bouseux. N'importe qui avec un peu de jugeote aurait percuté, depuis l'temps.

Kerun essaya de se redresser sur un coude, mais la pointe d'une botte l'atteignit dans les côtes. Par réflexe, il se recroquevilla sur lui-même, protégea son entrejambe, sa poitrine, son visage. Une autre botte le frappa dans les reins et il étouffa un cri.

— Alors tu vas te tenir, compris ? Tu emmerdes tout l'étage avec ton vacarme. C'est une prison, pas un marché au poisson.

La stupeur d'être traité de la sorte empêcha Kerun d'anticiper le coup suivant, qui l'atteignit à nouveau dans les côtes. Un éclair de douleur lui traversa la poitrine, remontant jusqu'à la nuque.

— Je compte sur toi. Tu la fermes et tu attends ton tour, comme tout le monde.

La botte tenta cette fois de le frapper au visage, mais les coudes de l'elfe amortirent le choc. Il n'était pas sûr de savoir d'où venait le sang qu'il avait sur la langue.

Une main lui agrippa les cheveux et le força à se relever sur les genoux. A la lueur de la lampe à huile que portait son comparse, Kerun regarda cette ordure, un soldat en uniforme, et sut qu'il n'oublierait jamais ce visage, humain, quelconque, monstrueux.

— Est-ce que c'est compris ? répéta son agresseur, l'étouffant de son haleine putride.

Kerun avait mal, mais il était entraîné à ça. Il avait déjà été torturé plusieurs fois, par des puissances ennemies ou des bandes criminelles. Un passage à tabac, ce n'était rien. Tout guérirait : les ecchymoses, les côtes cassées, pire, ce n'était pas neuf. Mais la fureur d'avoir été malmené, au sein même du fort, par des soldats de l'armée régulière, saignerait longtemps.

Il se prit une gifle, il avait tardé à répondre. Il songea un instant à se montrer défiant, un autre à réitérer ses exigences, à hurler au scandale, il pensa même à supplier. Mais il n'obtiendrait rien, sinon des coups supplémentaires.

— Oui, souffla-t-il.

— Bien, répondit la brute avec un sourire mauvais. Sinon nous reviendrons.

Quelque chose bougea sur la gauche, le troisième homme sans doute, mais Kerun n'en sut rien, car soudain la souffrance disparut et il sombra dans le néant.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant