Les bancs de l'assemblée étaient combles. Des gens se tenaient aussi debout dans la galerie et aux balcons, et s'étaient assis sur les marches des travées. Le service de sécurité des lieux prenait des risques en laissant autant de monde entrer dans un espace qui n'était manifestement pas prévu pour. S'il y avait le moindre mouvement de foule, ce serait une catastrophe. Mais Darren n'était pas responsable de la gestion des lieux publics : il existait un corps de garde spécifique à tous les bâtiments directement liés au gouvernement, basé au Palais, et sur lequel il n'avait aucune autorité. Bien que revêtu de son uniforme, l'elfe était venu écouter le général Maelwyn par initiative personnelle, une nécessité.
Le commandant de la garde cherchait à voir son supérieur hiérarchique depuis la veille et la mise sous surveillance du Temple de Valgrian. Même s'il espérait toujours que les êtres humains finiraient par abandonner leurs superstitions ridicules et les noms farfelus qu'ils y avaient associés, il ne pouvait s'étonner de la manière dont les Juvéliens avaient réagi. Dix ans plus tôt, les choses auraient été très différentes, mais malgré leur mémoire courte, les citoyens avaient trop souffert les dernières années pour se laisser piétiner sans réagir.
Maelwyn devait savoir que son influence n'avait pas le pouvoir qu'il entendait lui conférer. Déjà plombé par la défaite en Jasarin, il jouait un jeu dangereux à quelques mois des élections. Sans doute estimait-il que le jeu en valait la chandelle, que la neutralisation des Obscurs redorerait son blason... mais si la fin peut justifier les moyens, c'était rarement à court terme, et on voterait en début d'hiver.
Pour autant que la ville ne s'embrase pas avant ça.
La mort d'Hector avait été relayée dans les journaux, l'Echo Juvélien bénéficiait manifestement d'une source bien informée, à la garde, dans l'armée ou au Temple. Le désordre résultant pouvait cependant pointer vers un tout autre coupable : les Obscurs eux-mêmes avaient pu se vanter de leur forfait auprès d'oreilles curieuses. Darren n'avait pas le temps de l'investiguer lui-même et Joshua ne lâcherait de toute façon jamais le nom de son informateur. Il avait envoyé un officier se renseigner, cependant, par acquit de conscience, en espérant que le rédacteur en chef promettrait au moins qu'il ne savait pas où se terrait l'ennemi.
La garde n'était pas extensible. Le contingent basé dans le Parc, pour cadenasser le Temple, était excessif mais Darren rechignait à exiger un relais de la part de l'armée. Il avait la certitude que son équipe chercherait à tempérer les humeurs, là où les militaires n'avaient aucune expérience d'une gestion saine de la foule. Malheureusement, réquisitionner autant d'hommes signifiait déforcer toutes les patrouilles, tous les services, ailleurs dans la ville. Maintien de l'ordre, mais aussi enquêteurs et équipes d'intervention urgente. Les hommes et femmes de la garde étaient fatigués, inquiets, en demande d'explications et de perspectives. Combien de temps le Temple de Valgrian resterait-il fermé ? La question à laquelle le général répondrait peut-être, bientôt, devant ce parterre agité.
Darren se plaça dans l'ombre de la statue de Cornélius, un des fondateurs de Juvélys, presque 250 ans plus tôt, et attendit. Une main se posa sur son bras et il sursauta légèrement.
— Dame, murmura-t-il.
Vaelith Damaer, elfe et conseillère, s'était mêlée à la foule, une capeline dissimulant ses traits. Vu le temps orageux, ce n'était pas étrange et cela lui permettait de rester anonyme. Il quitta son observatoire et la suivit dans la galerie.
— Comment cela se passe-t-il dans la rue ? demanda-t-elle à mi-voix.
— C'est tendu.
Elle ne répondit rien, le visage neutre, son regard se tournant un instant vers l'estrade où le général surgirait bientôt.
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Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
FantasyAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...