102. Diane

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Mivei était avec eux car ils découvrirent une vieille barque dans l'alcôve qui donnait sur la rivière. Elle prenait l'eau, mais ils n'avaient qu'une cinquantaine de toises à parcourir, selon le plan de Kerun, aussi embarquèrent-ils avec l'espoir qu'elle ne sombre pas avant destination.

Diane prit place à l'avant, Brendan à l'arrière, et Othon saisit les rames vermoulues, non sans leur conférer la résistance magique dont il gratifiait d'ordinaire son bouclier. Ils franchirent la distance qui les séparait du repaire des Obscurs en quelques battements de coeur, à peine le temps nécessaire pour prendre une dernière fois la mesure de ce qu'ils tentaient d'accomplir.

Une folie.

La nécessité.

Le nom de Tymyr était souillé par ces esprits maudits, qui puisaient dans son énergie à des fins néfastes. Diane devait, absolument, mettre un terme à leurs agissements. Investie d'une mission divine, elle percevait le Flux avec une acuité nouvelle, renforcée par ce que l'ennemi avait tissé lui-même autour de son antre.

Pas besoin de confirmation. Tant Othon que Brendan percevaient la noirceur qui émanait des lieux.

— Ils risquent de nous détecter, souffla le Mivéan. Surtout toi.

Othon grimaça en rangeant la barque devant celles que les Obscurs avaient amarrées.

— Je ne peux pas atténuer mon aura, grommela-t-il.

Mais Diane le pouvait, avec son autorisation. Ils échangèrent un regard, et il opina du chef, avec dans les yeux la méfiance attendue. Elle savait qu'il n'avait rien contre elle, mais étouffer le pouvoir de Valgrian avec celui de Tymyr n'était pas anodin.

— Je pourrai puiser ? demanda-t-il néanmoins.

— La cape de ténèbres se déchirera dès que tu chercheras le Flux.

Il acquiesça, elle le couvrit d'un voile d'ombre. Son visage se crispa sous la caresse de la nuit, son dégout la chagrina mais elle ne dit rien. Tymyr, par essence, demeurait incomprise. Ce n'était pas le moment de dissiper les malentendus.

Brendan mit pied à terre le premier, fébrile et vengeur. Il lui tendit la main et elle le rejoignit. L'omniprésence du pouvoir de Tymyr, virulent et sauvage, l'étourdit une seconde. Les deux hommes paraissaient mal à l'aise, mais elle se sentait presque enivrée. Jamais elle n'avait perçu un tel potentiel dans le Flux de sa déesse, une telle puissance. Écrasée par l'omniprésence de Valgrian, la Dame de la Nuit vivotait à Juvélys. Ce qui régnait ici chantait un tout autre air, dominant, victorieux, comme la promesse d'un monde meilleur, d'un idéal auquel elle pouvait aspirer.

— Je n'aurais pas dû venir, murmura-t-elle.

Le quai ne faisait que quelques mètres de profondeur. L'odeur de putréfaction qui y régnait surpassait les effluves des égouts. La magie de mort laissait également son empreinte, comme une brume invisible qui vous comprimait le coeur.

— Comment ça ? s'inquiéta Brendan.

— Je n'aurais pas dû venir. L'énergie de Tymyr... est trop puissante. Je ne suis pas habituée.

La main du Mivéan la stabilisa sous le coude.

— Tu peux en faire usage pour le plus grand bien.

— Je risque d'être débordée, avoua-t-elle. Le Flux est tellement doux, à Juvélys, Tymyr est distante, je dois la cajoler, je l'effleure... mais ici... C'est différent. C'est comme si elle marchait à côté de moi, lance au poing, revancharde.

— Diane. Tu es capable de la contrôler.

— Je n'en suis pas certaine... Je devrais... rester en arrière, Brendan. Vraiment.

Il la dévisagea avec une grimace. Othon s'était éloigné, l'épée dégainée, et inspectait de grandes taches sombres le long d'un mur. Diane n'avait pas besoin de s'en approcher pour savoir qu'il s'agissait des résidus de cadavres, dont on s'était débarrassé.

— Nous avons besoin de toi. Tu connais l'adversaire mieux que quiconque...

— Je suis désolée. Je suis juste... dépassée. Ce serait dangereux. Pour vous, pour tout le monde. Vous pouvez faire face sans moi. Toi, Othon, l'elfe. Mais tu as raison... Je peux vous aider. Pendant que vous avancez, je tâcherai de lever cette gangue de ténèbres. Je pense que je peux la détricoter, prudemment, sans m'en approcher davantage. Les Obscurs y puisent, elle décuple leur pouvoir... Si je peux défaire cette trame... Ils perdront leur mainmise sur les lieux. Valgrian devrait s'y engouffrer librement, reprendre sa place...

Pourquoi ressentait-elle un regret, à cette idée ?

Contamination, déjà, l'atmosphère viciée embrumait ses pensées.

— Allez-y, laisse-moi agir à ma manière.

Othon attendait désormais à l'entrée du couloir, aux aguets, impatient.

Brendan fronça les sourcils.

— Dis-moi que tu ne vas pas succomber, Diane.

Elle sourit, lui frôla la joue, tandis que sa brume personnelle la coupait de son regard inquiet.

— Fais-moi confiance. Va sauver les otages et détruire les Obscurs.

Elle l'entendit soupirer, sans le voir, puis sa main se décrocha de son avant-bras, ses pas s'éloignèrent. Il échangea quelques mots inaudibles avec Othon, le silence s'installa. Ils étaient partis.

Les ténèbres environnaient la prêtresse, désormais, souveraines, débarrassées de la pulsation valgrianne du chevalier, du bruissement mivéan du prêtre. Diane recula jusqu'au bord de la rivière, à pas incertains, puis s'assit dos au conduit puant, le plus loin possible de la source des Obscurs.

— À nous deux, murmura-t-elle.

S'offrir à Tymyr pour mieux la repousser. Elle pouvait y arriver. Brin par brin dans ce Flux tempétueux, généreux, formidable. Contre son désir, dans la sérénité. Juvélys appartenait à Valgrian, elle devait s'y résigner.

Tymyr l'Obscure était une abomination.

Une abomination, sa déesse aimante.

— Ta place n'est pas ici, pas comme ça, tu mérites mieux que ce charnier.

Tyrmyr comprenait, la soutenait, ensemble, elles créeraient autre chose, trouveraient le chemin des coeurs juvéliens, sans forcer, sans terreur.

Diane s'attela à sa tâche minutieuse, dans le respect, rassérénée. 

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant