109. Les Ombres de la Lumière (2/2)

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Kerun prit appui sur le sol pour se redresser. Megrall s'était désintéressé de lui et il ne pouvait le blâmer : il n'était pas de taille. Il devait espérer que Devlin n'en ferait qu'à sa tête et monterait à leur secours en dépit des consignes, mais vu leurs derniers échanges, c'était mal embarqué. Non, il fallait compter sur le fait que les protections de Megrall ne dureraient pas éternellement : il devrait ranimer son bouclier spirituel tôt ou tard et ce serait le moment de frapper. Jusque là, il fallait gagner du temps.

L'elfe peina à retrouver son équilibre. Maelwyn était à nouveau prisonnier du non-mort – sa cheffe mercenaire, il l'avait reconnue – et les ténèbres rougeoyaient au-dessus d'eux.

Je suis trop loin, songea Kerun.

Il courut néanmoins. La colonne de feu tomba sur Maelwyn et un hurlement emplit l'amphithéâtre, en écho autour d'eux, répercuté dans les galeries, de mur en mur, avant de se perdre vers l'est et le soleil levant. Kerun entra dans les flammes pour en arracher le général. C'était stupide, mortel, mais indispensable. Et pourtant, alors qu'il aurait dû brûler avec eux, il ne ressentit absolument rien.

Maelwyn était en feu, la non-morte était en feu, mais, stoïque, elle ne voulait pas lâcher le général qui se contorsionnait. De sa lame, Kerun frappa la créature aux épaules, lui brisa un bras, s'attaqua au deuxième. Autour d'eux, le brasier grondait, imperturbable, alimenté par un Flux dévastateur. Libéré, le général tomba en avant, Kerun le saisit sous les aisselles et quitta la zone incendiée à reculons, s'arc-boutant de toutes ses forces pour traîner son corps pesant, sans savoir s'il était encore vivant.


Marcus fit face au regard furieux d'Albérich.

— Tu l'as protégé du feu, lâcha-t-il, stupéfait.

L'intendant aurait aimé répondre quelque chose, mais la haine qui déformait à présent le visage de son ancien ami ne parlait que de mort. La masse qu'il avait à la main lui promettait un châtiment qui mettrait bientôt fin au cauchemar. Albérich fit un pas dans sa direction, un second, mille émotions se succédèrent sur ses traits amaigris et Marcus ferma les yeux, prêt à accueillir le néant.

Un choc sourd le fit rouvrit les paupières.

Kerun avait sauté sur l'Obscur, désarmé mais volontaire, et l'empêchait de progresser. Albérich était cependant plus fort, sans nul doute grâce au sortilège qu'il avait prononcé un peu plus tôt et dont l'elfe n'avait pu complètement récupérer. Il saisit l'agent par les cheveux et l'épaule et le lança par-dessus lui. Loin de heurter le sol avec violence, Kerun se réceptionna sur une main, plia le coude, et retomba sur ses pieds. Mais le prêtre avait commencé à incanter, un sortilège sombre, terrible, dont Marcus perçut des bribes sans parvenir à l'identifier. Face à lui, l'elfe était figé, concentré, prêt à bondir pour éviter ce qui viendrait.

Tu ne peux pas l'éviter, songea Marcus, horrrifié.

Il se remit debout.

— Albérich ! Albérich, écoute-moi !

Son ancien mentor esquissa un sourire au creux de sa litanie mais ne s'interrompit pas. La déflagration partit, une explosion brutale, qui frappa l'agent secret avant qu'il ait pu esquisser le moindre mouvement. Il retomba en arrière, toujours vivant, tenta de se retourner, de se remettre sur ses jambes, puis renonça et rampa, le souffle rauque. Albérich se mit à marcher vers lui, la masse levée à mi-hauteur.

— Albérich !

— Chacun son tour, Marcus, j'arrive.

L'intendant jeta un regard éperdu autour de lui et aperçut le miroitement d'un objet en métal, sur la droite, à seulement quelques mètres. Il fila dans cette direction, sans regarder ce qui se passait derrière lui et posa la main sur le manche d'une petit épée. L'elfe l'avait lâchée en extirpant le général des flammes. Il s'assit sur ses talons, regarda cette lame entre ses doigts, et ses yeux se brouillèrent de larmes. Puis il se tourna vers Albérich. Sa silhouette noire était penchée sur l'elfe, mais celui-ci venait de parvenir, in extremis, à éviter un premier coup de masse, en roulant hors de portée. La pierre de l'estrade, par contre, avait souffert. Albérich se redressa, fit un pas de plus, et posa la botte sur le dos de Kerun, le clouant au sol. Le son rauque de la respiration de l'elfe paraissait assourdissant, mais peut-être était-ce l'écho du cœur battant aux oreilles de Marcus. Il se leva, marchant difficilement, pas à pas, l'épée à la main. Il savait exactement ce qu'il avait à faire, désormais.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant