— Je suis désolée, c'est trop tard.
Lorsqu'elle avait entendu tambouriner à la porte, Diane avait craint un débarquement de l'armée. Si les Valgrians étaient prisonniers de leurs murs, pourquoi pas les Tymyriens, après tout, la source de toute obscurité ? Mais il ne s'agissait que de Brendan Devlin. Peut-être, à la réflexion, était-ce pire.
Le voir surgir sous son porche, à toute heure, devenait une habitude. Elle se demanda furtivement ce qu'en pensaient les voisins. Le Mivéan avait toujours eu la réputation d'être un homme imprévisible, mais le voir pactiser avec la Nuit devait en inquiéter plus d'un, surtout au lendemain du sac de son Temple.
Heureusement, tant la garde que l'armée avaient d'autres chats à fouetter, plus dangereux, plus puissants. Devlin, comme elle, errait en marge des dynamiques qui formaient l'essence de Juvélys. Petits joueurs, négligeables. À l'heure où la ville entière ne parlait plus que du blocus placé autour du temple de Valgrian, de la mort probable d'Hector, étalée dans les journaux, sans doute pas un agent officiel n'avait-il le temps de filer le train d'un Mivéan blessé.
Il reposa sa tasse de thé dans un soupir contraint.
— Dans ce cas... est-ce qu'un Kintaan pourrait défaire ce que tu as tissé ?
Diane écarquilla les yeux. Brendan ruait sous la bride qu'elle avait placée à sa divination, l'empêchant de révéler ce qu'il avait vu, à quiconque.
— Brendan, nous avons placé ce garde-fou pour des raisons qui me sembl...
— J'ai passé la journée entière à chercher...
Sa bouche s'ouvrit mais se referma sans qu'il puisse dire quoi, muselé par le sortilège, et il sublima sa frustration d'un poing frappé sur la table.
— Le temps presse, Diane. Le fils de Melantheria est en danger. J'ai toujours une prêtresse et une novice entre leurs mains, plus celle d'Agathe. Marcus a disparu.
— Marcus ? Ils ont attaqué les Valgrians ?
Brendan secoua la tête, lèvres pincées. Diane devina qu'il en avait dit plus qu'il n'en avait eu l'intention, mais il était trop tard.
— Brendan !
— C'est... non. Marcus a été enlevé en ville.
— Comme Albérich.
Les yeux du Mivéan se figèrent une seconde et Diane perçut l'aveu qui menaçait de perler, que son invité tentait de contenir. Mais Tymyr était la déesse du secret, et Diane savait reconnaître quelqu'un qui brûle de partager ce qui le dévore. Nul sortilège ne l'en empêchait, cette fois. Elle ne dit rien, serra sa tasse, attendit ce qui ne manquerait pas de sortir. Brendan se carra sur son siège, se massa les yeux d'une main rageuse.
— D'après les Valgrians, Albérich a survécu et il se serait rallié aux Obscurs.
La brume que Diane avait canalisée jusqu'ici se leva comme un rideau, l'emprisonnant soudain dans un cocon de blancheur, dissimulant sa stupeur. Brendan ne se laissa pas impressionner et poursuivit. Le voile se leva doucement, à mesure que la Primitive reprenait le contrôle de ses émotions.
— Mais je n'en sais pas grand-chose de plus, Othon me l'a raconté hier, pendant leur Veillée, puis les choses se sont précipitées, je pense l'avoir vu dans la nef – Albérich, je veux dire – nous l'avons cherché et nous avons trouvé... la tête d'un Flambeau... leur chevalier gris...
— Urbain.
Le Mivéan releva des yeux surpris.
— Urbain vénérait Valgrian mais venait de temps en temps chez nous, prier, murmura Diane avec un sourire triste. Tymyr est la déesse de l'ombre... et Urbain vivait dans les ombres. Il avait besoin, parfois, de trouver un réconfort auprès de celle qui veille sur les parias.
VOUS LISEZ
Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
FantasyAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...