63. Callum

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— Je suis content de voir que tu vas mieux.

La peste soit de ces Jours Gris, songeait Callum, en contemplant le visage blafard d'Artémise, sa petite soeur, prêtresse de Mivei et rescapée d'un massacre.

Prétendre qu'elle avait meilleure mine semblait la chose à dire, mais en réalité, il n'en pensait rien. Il posa la main sur la sienne, serra doucement. Elle le gratifia d'un sourire las en retour. Il aurait voulu qu'elle puisse se dépouiller de cette identité religieuse qu'on lui avait imposée, mais la superstition imprégnait la culture humaine et elle avait grandi dans un cadre étriqué, au Carrefour de Juvélys, avec les autres enfants promis à la prêtrise. Il y aurait eu moyen, pourtant, de protéger les nourrissons maudits du Dieu Volatile sans leur bourrer le crâne de cantiques. D'un simple objet imprégné de Flux inerte. Un pendentif, par exemple, ou un bracelet.

Onéreux, compliqué, incertain, auraient dit ses collègues de l'Académie.

En réalité, la plupart des érudits ne croyaient absolument pas au danger spirituel des Jours Gris. Il ne s'agissait que d'une tradition archaïque, sans doute instituée par des temples en mal de volontaires, mais y déroger paraissait, à l'heure actuelle, inimaginable.

— Vaille que vaille, répondit Artémise. Mais oui. J'émerge. Il le faut.

Callum soupira, lui rendit son sourire.

Autour d'eux, la taverne bruissait du murmure enfiévré de conversations belliqueuses. Le mage avait pourtant espéré que La Boule de Cristal échapperait aux humeurs chagrines des Juvéliens inquiets, vu sa situation privilégiée, dans les quartiers cossus qui bordaient le Parc au nord, mais il semblait qu'on ne puisse pas y déroger. Même les couloirs de l'Académie n'étaient pas épargnés, fait rarissime, car les magiciens, étudiants comme professeurs, ne s'intéressaient généralement que très peu aux soucis du commun des mortels.

Juvélys, pourtant. Leur berceau, leur enceinte. Ils ne pouvaient pas la négliger, après tout ce qui s'était produit les dernières années.

Le conseil académique s'était déjà réuni trois fois pour discuter de la réponse à apporter aux troubles en cours. Rien n'en était sorti. Comme d'habitude, personne ne parvenait à se mettre d'accord sur la première ligne d'une déclaration. Callum était trop jeune pour peser dans les débats et sa présence dans l'amphithéâtre, pour écouter les vieux barbons débattre, lui semblait constituer une perte de temps colossale.

L'armée disposait de son propre contingent de mages — d'anciens élèves de l'Académie, souvent les plus doués – et ferait appel à eux au besoin. Il fallait respecter la loi des institutions juvéliennes. Se calquer sur les Galludans. Servir le peuple. Prôner la mesure, la sagesse, tirer les enseignements du passé. Rester neutre. Ne pas prendre parti. Soutenir les uns, soutenir les autres, ou alors les dénoncer.

Au silence de certains, Callum devinait que Dame Damaer, la conseillère qui supervisait l'Académie, avait dû intervenir. Son nom n'était prononcé par personne mais son ombre planait.

Lui-même ne savait qu'en penser : perché dans sa tour d'ivoire, son laboratoire chéri, il n'avait aucune idée de ce qui s'était déroulé au dehors les derniers mois et de comment se dessinaient les tensions en ville. L'attaque du Temple de Mivei l'avait pris par surprise, comme tout le monde. Depuis, il aurait voulu préserver Artémise, mais il n'avait pas le droit d'accueillir sa petite soeur dans sa chambrette d'assistant-professeur, et pas non plus les moyens de lui payer un logement ailleurs. Il ne savait pas si elle était retournée dans son Temple par choix ou parce qu'elle n'avait pas d'alternative. Il n'avait pas osé lui poser la question, faute de solution, ça lui aurait semblé cruel. Il fallait qu'elle survive, là où le destin – sacrée Mivei – l'avait placée.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant