110. Kerun

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Kerun regarda Darren disparaître et poussa un léger soupir. Il tenait à peine sur ses jambes, l'énergie noire bourdonnait encore sous sa peau, le vidant de son énergie. D'une seconde à l'autre, il allait s'écrouler.

— Venez, Marcus. Nous allons déplacer Meg... le Flamboyant à l'intérieur... Il ne faut pas que la garde le trouve quand elle viendra chercher le général.

— Il s'était tourné vers la face obscure de Tymyr, murmura Marcus.

— Je sais. Le tuer... C'était la meilleure chose possible, pour nous, pour ce qu'il était de son vivant.

— C'est ce qu'il a dit.

— Ce qu'il a dit ?

— Avant de mourir. La dernière chose qu'il a dite... c'est que j'avais fait ce qu'il attendait de moi.

Ses yeux débordèrent à nouveau et, Kerun le prit contre son épaule. Marcus pleura dans sa tunique, éperdument, mais l'elfe était conscient qu'ils n'avaient plus le temps de s'attarder. Il perdit soudain l'équilibre, Marcus le retint par réflexe, et lui jeta un regard brûlant.

— Je n'ai plus... j'ai...

Il désigna mollement Maelwyn. Les larmes coulèrent de plus belle, il les effaça d'une main soudain rageuse.

— Après tout ce qu'il a fait ! Je l'ai sauvé ! Lui !

Son corps vibra de fureur, mais l'affliction l'emporta à nouveau. Kerun se souvint alors qu'il lui restait des remèdes fortifiants prélevés dans la réserve des Mivéans. Il en ingurgita deux fioles, conscient que cela ne remplacerait pas une purge de ce qui l'affectait, mais retrouva un certain allant, presque douloureux. Il écarta Marcus du cadavre et le conduisit vers le sous-sol. Il lui ordonna d'attendre — il était cette fois trop choqué pour désobéir — et retourna chercher le cadavre. Il lui fallut le traîner jusqu'aux escaliers. 

Sans doute scandalisé par l'indignité infligée à son ancien maître, Marcus l'aida alors, soulevant les jambes du prêtre tandis qu'il portait ses épaules. Cahin-caha, dans un silence brisé par les reniflements de l'intendant, ils traversèrent le premier niveau, atteignirent la porte dérobée qui menait aux caves, et descendirent. Kerun s'imprégna de la tranquillité qui régnait dans les couloirs avant de remonter rapidement et de bloquer sommairement le passage. Il ne fallait pas que la garde accède trop vite à la planque obscure : il leur fallait encore la vider.

Ils abandonnèrent la dépouille au pied de l'escalier, puis rejoignirent la salle à manger et ceux qui les y attendaient.

— Enfin ! s'exclama Othon. Je n'arrivais plus à le retenir !

— J'étais très sage ! protesta Brendan, enjoué, avant de changer d'expression. Marcus... Tu es blessé ?

Le Valgrian se contenta de secouer la tête, puis tituba et s'assit sur le sol. Othon s'approcha vivement et s'agenouilla à côté de lui, diffusant aussitôt son aura salvatrice.

— Il a tué Albérich Megrall, dit Kerun au Mivéan.

— Quoi ?! Vous... Mais... Je pensais que nous... allions...

— Les choses se sont emballées. Mais c'est terminé, à présent. Tout est terminé.

— Merde !

L'elfe ne sut quoi répondre, lâcha un bref soupir et laissa courir son regard sur la pièce et les rescapés qui s'y trouvaient. Diane, assise à table auprès des deux novices, blêmes et silencieuses. Sam, le regard vide, les bras bandés, assis par terre. Iris, appuyée contre un mur, les épaules basses sous une toge noire et le visage rougi par l'épuisement et le chagrin. À ses pieds, gisait le corps de l'homme que Kerun n'avait pas réussi à sauver.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant