10. Helga

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TW : chapitre désagréable

Bien que l'échauffourée qui avait opposé prêtres et Obscurs ait eu lieu deux jours plus tôt, le général Maewlyn paraissait toujours aussi fébrile. Ses joues d'ordinaire épineuses étaient désormais franchement hirsutes, et ses yeux couleur acier scintillaient dans des orbites noircies par le manque de sommeil. Helga était persuadée qu'il n'avait plus procédé à la moindre ablution depuis l'incident, un travers que partageaient de nombreux hommes d'armes, une calamité.

La cheffe mercenaire avait à demi espéré que son équipe soit congédiée après le coup d'éclat des religieux, mais il n'en avait rien été. Dès l'aube, le général l'avait convoquée pour la prévenir qu'un certain nombre de corps allaient leur être livrés, et qu'il faudrait leur arracher leur vérité. Helga ne lui avait pas rappelé que les Obscurs connaissaient la présence de Fern dans leurs rangs, et par là, devinaient ce qu'ils étaient capables d'extraire de cadavres. Elle avait juste mentionné qu'il leur faudrait autant d'animaux à sacrifier que de sortilèges à lancer, et il l'avait envoyée au chenil.

Les corps avaient parlé. D'allées sombres et de couloirs enfouis, de silhouettes imposantes ou craintives, de mort et de sang, et leurs souvenirs s'étaient entrecroisés dans l'esprit de Fern, qui avait déblatéré d'une voix sourde tout ce qui s'imposait à son regard interne. Une âme plus lucide aurait certainement réussi à en abstraire davantage d'informations, mais ils devaient se contenter des élucubrations d'une sorcière à moitié folle, le coût d'une plongée régulière dans le royaume de la non-vie.

Bien sûr, deux des corps, un homme et une femme, avaient été protégés de leur curiosité par un sortilège complexe. Helga avait songé faire appel aux mages de Maelwyn — l'un d'entre eux, un Galludan en robe pourpre, avait croisé leur route lors de l'épisode de la bulle ténébreuse — mais le général l'avait interdit.

Tout ce cirque ne signifiait qu'une seule chose : Maelwyn avait la certitude qu'il restait des cultistes dans la nature. Le contraire avait pourtant été annoncé officiellement, pas plus tard que la veille, sans doute pour apaiser les esprits échauffés. Helga n'aurait pu juger de l'effet : se mêler aux Juvéliens ne faisait pas partie de leur mission. Mais elle trouvait risqué de vendre du rêve aux habitants : le contrecoup serait sûrement spectaculaire. De ce qu'elle avait pu comprendre des locaux, ils étaient prompts à s'offusquer, se rassembler et revendiquer, renforcés par un attirail de lois laxistes qui leur autorisaient plus ou moins n'importe quoi. Que la ville soit sur la corde raide en permanence n'était par conséquent pas une surprise.

Le général Maelwyn en était bien conscient, mais il était muselé par un cadre. Helga l'aurait bien vu se ranger à l'ennemi, tout bien considéré. Pas à Griphel, bien sûr, mais il n'aurait pas dépareillé dans le cadre austère de Rhyvan. Sauf que Rhyvan était une théocratie dure, et Maelwyn n'aimait guère les dieux. Il devait se débrouiller avec l'anarchie juvélienne.

« Arrête de geindre », grommela la voix peu amène de Carl, interrompant le fil de ses pensées.

En bout de couloir, l'imposant combattant tirait leur témoin par le bras. L'adolescent blafard gémissait comme si on le traînait vers l'abattoir. Pour un gamin saigné une dizaine de jours plus tôt, il était en grande forme, reflet des miracles de la magie béalite. Helga n'aurait pas craché sur ce genre de prêtre dans son équipe, mais aucun d'eux n'aurait jamais accepté de lier son sort à leur compagnie, du moins librement.

On en vendait parfois sur les marchés griphéliens, Helga le savait. Un certain nombre devaient avoir été pris pendant la guerre récente, il y avait peut-être une piste à explorer de ce côté-là. Plus tard. Quand ils en auraient fini avec ce merdier.

Le gosse freinait des quatre fers, terrorisé par ce qui se trouvait derrière la porte, mais Carl était une force de la nature, et il finit par le soulever et le jeter sur son épaule comme un sac de pommes de terre. Le novice se débattit quelques secondes puis renonça, ses sanglots résonnant contre la pierre qui les environnait.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant