6. Othon

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D'un pas tranquille, Othon patrouillait dans le couloir circulaire du Parc, sentinelle rassurante pour les prêtres comme les fidèles, les Flambeaux comme les plus jeunes. Sa présence sereine, renforcée par une aura vieille de trente ans, calmait les coeurs les plus emballés, les incertitudes, l'hostilité et l'angoisse.

Les soldats de Maelwyn étaient toujours là. Trente-six d'entre eux, en trois rotations de douze. Les officiers, encore jeunes, portaient tous trois les stigmates d'une guerre perdue en Jasarin. Le premier était manchot, le second arborait une cicatrice difficile en travers du visage, le troisième se mouvait à la manière fébrile de ceux qui ne dorment plus correctement la nuit et qui devinent l'ennemi dans les ombres. Leurs subordonnés semblaient en meilleur état, mais certains paraissaient plus jeunes que des écuyers qu'Othon n'aurait jamais songé à adouber. Sans doute y avait-il pire comme première affectation pour ces recrues... tant qu'un massacre ne venait pas souiller les lieux.

Mais il n'y en aurait plus. Les Obscurs avaient été défaits.

Othon rassurait ses confrères, canalisait les intrus, et reposait sa carcasse percluse. Malgré leur victoire dans les allées enfouies du Parc, ils avaient pris des coups. Certains, comme Brendan, avaient aussitôt rebondi, galvanisés par leur succès, oubliant les plaies du corps et les bosses de l'âme, mais d'autres ne disposaient pas d'une nature aussi élastique. Florent et Kyle, en particulier, pansaient toujours leurs blessures, le premier avec la stupeur d'un homme qui a pris conscience de sa mortalité, le second avec la colère d'un guerrier qui s'était cru plus solide.

Othon, lui, clopinait en gardant son humeur pour lui-même. Vieux muscles, vieux os, vieilles articulations, ecchymoses qui se résorbent plus lentement qu'avant, courbatures qui traînent, il se devait de donner le change. Armand agissait de même, avec le même aplomb. Y glisser un peu d'énergie magique aurait soulagé bien des maux, mais quand on était déjà sur la pente descendante, céder à la facilité et précipiter les choses était mal inspiré. Un corps qui lutte était un corps qui résiste. Les cataplasmes du Flux sapaient un équilibre fragile et en user était toujours mal inspiré, sauf quand c'était la seule solution pour ne pas basculer dans le gouffre.

Quelqu'un qui semblait avoir traversé la tempête sans le moindre effet secondaire, en revanche, était l'intendant discret du Temple. Marcus rayonnait d'énergie, plus solaire que jamais, un tourbillon d'activité qui agitait les couloirs. Othon ne l'avait jamais connu comme ça, mais il savait que les prêtres juvéliens parlaient d'une renaissance et non d'une métamorphose.

Juste le voir approcher fatigua le grand chevalier, mais Marcus se contenta de lui adresser un sourire amical avant de virevolter plus loin. Othon relâcha la respiration qu'il avait retenue sans en prendre conscience et poursuivit sa déambulation.

« Sire Othon! »

La voix aiguë l'arrêta et il fit volte-face pour accueillir Hubert, un des écuyers. Le gamin freina sa course et s'inclina très bas, minuscule créature qui avait emprunté leur voie chaotique. Doué, courageux, précis dans ses mouvements, cavalier naturel. Si jeune, pourtant. Avaient-ils perdu la tête, à sacrifier ainsi des enfants à une vie meurtrière ?

« Il y a un Sire Amray à la porte. Qui voudrait vous voir... ou alors Sire Armand... mais comme je vous ai vu d'abord... »

Othon fronça les sourcils.

« J'y vais. »

Le gamin s'inclina à nouveau, une démonstration insolente de sa souplesse juvénile, et Othon songea au craquement que ferait son dos s'il devait tenter pareille gymnastique. La relève dans toute sa splendeur, si on lui laissait l'opportunité de s'épanouir.

Il lui emboîta le pas et sa taille lui permit de rivaliser avec la célérité du garçon. Sa promenade circulaire l'avait ramené non loin des quartiers des Flambeaux et il gagna le porche qui donnait sur le Parc.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant