De toutes les chambres qu'avait occupées Iris depuis son arrivée à Juvélys, celle que lui avaient fournie les Obscurs était sans conteste la plus belle et la plus digne de son rang. Son seul défaut était l'absence de fenêtre car, bien sûr, ils étaient toujours sous terre, dans un des souterrains qui crénelaient le sous-sol de la cité.
Elle s'était éveillée seule, dans un lit à baldaquin somptueux, émergeant de son long sommeil comme on refait surface après un plongeon dans les profondeurs. Souffle court, bouche pâteuse, un goût âcre sur la langue, les yeux troublés. Symptômes d'un usage funeste. Magie de mort.
Elle n'avait rien oublié. La manière dont Martin, le regard fixe, avait tranché la gorge de leur compagnon d'infortune, l'ordre sec du Casinite, la manière dont l'incantation perverse avait ruisselé de ses lèvres, comme un venin trop longtemps retenu. La suite, affreuse, le corps encore tiède, investi d'une non-vie, auquel on arrache sa vérité sans plus aucun filtre, avant de le rejeter.
Puis la nuit, qui pourrait être un refuge, mais qui n'est qu'une torpeur douloureuse, avant un autre réveil, ce réveil, les mains en sang.
Des veinules violacées couraient sur ses poignets et sur ses paumes, de menues séquelles, qui trahissaient la révolte de son organisme. Elle les suivit du bout des doigts.
Bien sûr, les praticiens de la magie de mort finissaient toujours par développer des marques dans leur chair, dans leur esprit, des fragments d'un flux vicié, une punition divine, peut-être, la fureur de Béal. Mais il fallait dix ou quinze ans de pratique avant les premiers signes visibles, vingt avant qu'un réel handicap ne survienne, trente, quarante avant la décrépitude et la folie. Il était d'ailleurs de bon ton d'évaluer la qualité d'une lignée au moment de l'apparition de ces flétrissures : preuve de la résistance d'une âme à la souillure, symbole de force, de puissance.
Iris avait été marquée dès la première strophe du premier sortilège, quand elle n'avait que quinze ans. Une nausée terrible, que ses professeurs avaient déclarée purement psychologique. Un ligne pourpre sur une côte, à gauche, comme une cicatrice intérieure, qui n'avait jamais disparu. Depuis, chaque usage la meurtrissait un peu plus, et sous ses vêtements, elle arborait les stigmates indélébiles de ces cauchemars répétés.
On aurait pu croire que son désir de renoncer à la magie de mort n'était qu'égoïste, qu'elle avait réalisé qu'en user la tuerait avant l'heure. En réalité, Iris savait que son corps ne faisait que refléter son âme, que sous sa façade glacée, elle hurlait.
Dans quoi nous sommes-nous fourrés ? songea-t-elle.
La veille, emboîter le pas aux Obscurs avait semblé la chose noble à faire, l'indispensable voie vers la rédemption. À la lumière des événements de la nuit, leur décision revêtait sa véritable tonalité : une promesse d'ombre infinie.
Martin avait égorgé un homme, sans flancher, sans frémir. Mais s'il était un traître, il aurait vendu Iris pour ce qu'elle était, une alliée des autorités. Il n'en avait rien fait. Comme elle, il était piégé, elle devait le croire. Il était la seule chose en laquelle elle pouvait croire.
Quelques coups secs frappés à la porte la firent sursauter, et la jeune femme se redressa vaille que vaille avant d'inviter le visiteur à entrer. Conrad lui adressa un sourire mielleux en se glissant à l'intérieur, un jeune homme - un elfain - sur les talons. Ce dernier portait un plateau chargé de victuailles et entra à petits pas métalliques, enchaîné, pour venir poser son fardeau sur la table de chevet.
— J'espère que la chambre est à votre goût, annonça Conrad.
Le prisonnier gardait les yeux baissés, les gestes fébriles, Iris musela sa nausée, sa compassion, et adressa une moue appréciative à son hôte.
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Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
FantasyAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...