En fin d'après-midi, une brusque frénésie avait envahi le repaire des Obscurs. Les trois aînés s'étaient isolés un moment puis avaient reparu de concert. Martin les avait trouvés tendus mais moins hostiles que d'ordinaire, comme si leur conciliabule avait porté ses fruits plutôt que créé de nouvelles failles.
Mauvaise nouvelle.
Albérich Megrall avait rassemblé le groupe des recrues et les avait toutes réquisitionnées, à l'exception de Martin, Iris et Auguste. À cette occasion, l'ancien esclave avait remarqué l'absence d'Antoine, le serviteur zélé. Il avait filé dans le couloir pour rejoindre Ensio et l'interroger. Il savait qu'il pouvait désormais se le permettre.
Le Casinite lui avait appris qu'une opération d'envergure allait avoir lieu et qu'avec un peu de chance, ils quitteraient Juvélys le surlendemain, pour rejoindre, enfin, Griphel.
Griphel.
Depuis que ce mot avait été prononcé, Martin n'y voyait plus clair. Son esprit s'était empli d'une brume noire, un nuage de mouches bourdonnantes, qui lui oppressait la poitrine et noyait sa réflexion.
Griphel.
S'il n'avait jamais imaginé venir en Tyrgria, jamais imaginé arpenter les rues de Juvélys, il n'avait jamais non plus imaginé retourner à Griphel.
La perspective l'emplissait d'une terreur tellement suffocante qu'elle l'en assommait. Il se sentait incapable de penser, d'imaginer même l'ombre d'une porte de sortie.
À part mourir. Serait-il capable, devant l'inévitable, de se supprimer ?
Malgré tout ce qu'il avait vécu, malgré l'esclavage, l'exploitation, la souffrance, il n'avait envisagé le suicide que pendant un temps très bref, avant de comprendre que ce qu'il traversait n'était que la juste punition de son crime, et qu'il se devait de l'affronter, pour expier, qu'il n'avait pas droit à la lâcheté d'une révérence anticipée.
Ce châtiment devait-il se prolonger jusqu'à ce que son corps lâche naturellement ?
Peut-être. Treize ans, ce n'était rien, comparé à ce qu'il avait infligé aux siens.
Si Ensio avait perçu son malaise, il n'en avait rien dit, pressé par l'échéance du jour. Martin était demeuré en arrière, désorienté, et même lorsque la cave sinistre des cultistes s'était trouvée presque vide, il n'avait pas réussi à émerger de son trouble.
Il était conscient, pourtant, qu'il s'agissait là d'une fenêtre d'opportunité inédite.
Seuls restaient Conrad et Auguste, les prisonniers, Iris et lui-même. Deux Obscurs et une multitude d'adversaires. Conrad était un gros morceau, bien sûr, mais seul contre tous, pourrait-il leur résister ?
Griphel, Martin. Les chaînes, la sueur, le sperme, les corps qui s'imposent au tien, la puanteur du Venin, le vent sec, les ordures.
Ou alors fallait-il fuir ? Profiter du fait que Conrad ne pouvait surveiller tout le monde pour ouvrir les portes, libérer les otages, emprunter les couloirs, sauter dans la barque et ramer vers la mer ?
Griphel, demain, un autre bateau, le dédale des rues, la violence imposée aux faibles, l'arbitraire, le danger, Réginald que tu as tué, sa famille qui te traque, qui exigera ta torture et ton exécution au Temple de Casin.
Comment savoir quand les autres Obscurs reviendraient ? De combien de temps disposaient-ils, au juste ? Où était partie Iris ? La porte du Valgrian était-elle ouverte ? Comment débarrasser l'elfain de ses chaînes ? Que faire du sculpteur himéite ? Combien d'adolescentes devait-il retrouver ?
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Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
FantastikAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...