51. Martin

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Il faisait encore jour au dehors, Martin le savait. Couché sur un lit de fortune, il regardait le plafond sans parvenir à trouver le sommeil. Adopter les rythmes déstructurés de leurs hôtes n'aurait dû lui poser aucun problème, à lui qui, depuis toujours, parvenait à s'endormir n'importe où, n'importe quand et pour n'importe quelle durée, mais l'angoisse lui rongeait les tripes, d'autant plus cruelle qu'il devait maintenir un masque en permanence.

Il n'y avait aucune trace du passage de Kerun dans le repaire des Obscurs. Martin espérait toujours que l'agent secret était non loin, embusqué, prêt à agir, mais il avait de sérieux doutes. La présence tranquille du fameux Juvélien mystère indiquait que l'elfe n'avait pas pu l'intercepter, où qu'il ait imaginé pouvoir le débusquer.

En tant que Griphélien fraîchement débarqué, Martin n'avait pas hésité à se renseigner auprès d'un local, à savoir le dénommé Antoine, tout juste recruté. Il avait ainsi appris que l'homme qui avait tant bouleversé l'espion s'appelait Albérich Megrall, un ancien conseiller et Flamboyant des Valgrians, un héros de la guerre civile, qu'on avait cru assassiné par les Obscurs, deux ans plus tôt. Martin n'en avait jamais entendu parler, mais vu l'opposition entre Valgrian et Tymyr, vu l'importance du culte de la Lumière dans la capitale, et compte tenu des circonstances de sa disparition, il pensait pouvoir comprendre – un rien – le choc que ce revirement constituait.

Kerun avait très peu parlé des voies qu'il empruntait en parallèle de leur mission d'infiltration, mais Martin savait que les tensions étaient vives dans la société juvélienne, que les religieux et les autorités s'opposaient sur bien des points, et il semblait possible que l'espion n'ait trouvé personne à qui transmettre leurs précieuses révélations, ou personne pour les écouter, y croire et agir.

Martin ne voulait pas y réfléchir.

L'idée que Kerun puisse être hors jeu l'emplissait d'un malaise terrible, d'autant plus qu'il avait la conviction d'avoir entraîné Iris avec lui, à leur perte. Les Obscurs réaliseraient tôt ou tard qu'ils n'étaient pas ce qu'ils prétendaient, à moins qu'ils ne se convertissent réellement...

Et cette perspective...

Il en gémit dans son oreiller.

La veille, pendant qu'Iris dormait, une fois les barques amarrées dans la rivière souterraine et les nouvelles recrues installées dans un dortoir sommaire, ils avaient assisté à une première cérémonie à la gloire de Tymyr. Il n'y avait eu ni mort supplémentaire, ni blessé, personne n'avait été torturé, mais ils s'étaient agenouillés dans la poussière, lui, les trois nouveaux adeptes, plus Kaya, la jeune démente qui les avait accueillis. Le vieux prêtre, Conrad, qu'on devait appeler Calme Péril – avec sérieux, s'il vous plait – avait officié. Ni Ensio, ni Albérich Megrall n'avaient mis un genou en terre : ils étaient restés debout à les observer, comme deux statues.

Ensemble, ils avait prié, supplié la déesse obscure de leur accorder le droit de la servir, voué Juvélys et Valgrian aux flammes (n'y avait-il pas un paradoxe, pour les ténèbres, à en appeler aux flammes, pourtant ?). Mémoriser ces litanies absurdes promettait d'être bien pénible ; Martin n'avait jamais été très doué pour retenir les paroles de chansons, quelles qu'elles soient.

Ils avaient ensuite mangé en silence, puis dormi.

Malgré le meurtre dont il s'était rendu coupable, malgré l'ignominie de la magie de mort qui s'était révélée devant lui, Martin avait sombré dans une nuit sans images, dont il avait émergé plus épuisé que la veille, encore. 

Une sensation qu'il connaissait bien. Le poids d'une fatigue inévitable, dans son âme, son corps.

Retour à la case départ.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant