104. Othon (2/2)

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Le silence n'était plus perturbé que par un fracas distant, sans doute Kerun à l'oeuvre. Ni Brendan ni Othon ne pouvaient s'en soucier. L'ennemi allait fondre sur eux, d'une minute à l'autre, et le chevalier se souvint du vent de désespoir qui avait soufflé sur le Parc, lors de leur premier affrontement. Tout n'avait été qu'un leurre, de la poudre aux yeux pour mieux les diviser. Les Obscurs avaient gardé leurs forces les plus puissantes en réserve tandis qu'ils se déchiraient, autorités contre prêtres, jusqu'au point de rupture.

Ils pouvaient encore l'éviter.

Othon pria Valgrian qu'il n'y ait qu'un seul adversaire, et non leurs trois chefs de file. Que Kerun surgisse. Que Marcus apparaisse. Ou Diane. Du renfort, n'importe lequel.

— Reste près de moi, ordonna-t-il à Brendan, qui obéit sans protester.

Le couloir demeurait vide. Les lueurs, sphères volées à Valgrian, s'éteignirent une à une en sifflant, comme si un doigt invisible les mouchait. Mais Othon dégageait désormais une lumière suffisante pour repousser la nuit.

Il flamboyait, l'essence de sa vocation.

Il se garda et scruta les ténèbres.

— Merci d'être là, déclara alors le Mivéan.

— Tais-toi, bougre d'âne, lui répondit le chevalier.

Ils avancèrent, aux aguets, pas à pas. Othon ne doutait pas de parvenir à percevoir l'ennemi avant qu'il ne frappe, mais il avait désormais eu le temps de se préparer.

— Il est dans une pièce sur la droite, murmura Brendan. Seul.

Ce qui signifiait qu'il n'y resterait pas, car le futur change dès qu'on l'entrevoit.

— Couvre-moi, lui souffla le chevalier.

Il posa un genou en terre, la pointe de l'épée au sol, puis prononça les mots nécessaires. Brendan s'était positionné devant lui, la rapière brandie, le corps luisant d'une poussière argentée aux vertus inconnues. Dans un souffle, Wyverne apparut à leurs côtés.

Brendan étouffa une exclamation, la jument noire s'ébroua et frappa du sabot sur le sol.

— Débusque-le.

L'animal s'élança sans hésitation, au grand galop dans le couloir, et sa silhouette massive fut avalée par l'ombre. Un cri stupéfait retentit, suivi d'une déflagration. Othon chargea, Brendan à sa suite. Ils eurent tout juste le temps d'apercevoir leur ennemi – un vieillard dans une toge noire – avant qu'il ne disparaisse. Du destrier formidable, plus aucune trace.

Le chevalier n'avait pas imaginé autre chose, sans craindre pour Wyverne. La virulence de l'énergie tymyrienne l'avait simplement renvoyée dans le Flux.

— Bouse ! lâcha Brendan, avec humeur.

— Il s'est téléporté ? demanda Othon.

— Ou rendu invisible. Je ne sais pas.

Il se mit à incanter, tissant la trame de son sortilège, lorsque le Flambeau devina quelque chose sur leur droite. Une boule d'énergie noire, dense, comme si toutes les ténèbres s'étaient agglutinées en un seul point, qui fusa dans leur direction. Il s'interposa par réflexe, encaissant le choc. Il ne ressentit pas grand-chose, un frôlement, mais la lumière qui l'environnait s'atténua, vacilla, survécut. Brendan se rua vers l'avant, lame au clair, une silhouette argentée dans le brouillard. Othon suivit avec un juron, mais il devinait que le Mivéan avait repéré l'Obscur, et entendait le déborder au corps à corps, la technique reine pour neutraliser un prêtre puissant.

La vitesse de son ami faillit le perdre. Le halo d'Othon exposa l'adversaire alors qu'il renversait Brendan d'un trait de brume. Face à l'épée du chevalier, le vieillard préféra reculer dans les ténèbres, laissant le Mivéan assis sur le sol. La lueur argentée se dissipa, la respiration rauque de son ami révélait sa fatigue. Othon se campa dos à lui, puis s'accroupit pour le toucher d'une main incertaine.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant