108. Brendan

18 5 14
                                    

Brendan et Othon avaient vérifié, minutieusement, toutes les salles du couloir qu'ils avaient arpenté. Hormis celle qui abritait la magicienne de mort et ses victimes, ils n'avaient trouvé que des pièces vides. Certaines avaient manifestement servi de cellules, une autre ressemblait à une infirmerie, une troisième à un dortoir déserté, la dernière accueillait les préparatifs du rituel mystérieux qu'ils avaient interrompu, tracés de cendre et bougies à moitié consummées.

Ils progressaient lentement car Othon avait insisté pour emporter le cadavre du vieux prêtre, dont il craignait une improbable résurrection sous forme de non-mort. Le trépas de la magicienne folle rendait le maléfice impossible mais Brendan avait renoncé à l'en dissuader.

Chemin faisant, ils étaient retournés jusqu'au quai, vérifier que Diane se portait bien. À leur arrivée, elle émergeait de sa transe, libérée du poids du sortilège tymyrien qu'elle avait contribué à démêler. Elle paraissait à la fois épuisée et ravie de les voir, et elle leur tomba dans les bras. Pris au dépourvu par cette subite promiscuité, Brendan eut l'étrange sensation d'étreindre un nuage glacé.

Lui-même se sentait curieusement léger, presque libéré, et devait s'efforcer de ne pas siffloter. Contrecoup d'avoir tué un homme, il le savait. Il n'aurait pas dû être aussi heureux de s'être sali les mains. Mais il avait la certitude d'avoir fauché un monstre, peut-être le pire d'entre eux. Il l'avait lu dans ses prunelles, un mélange de haine et de reconnaissance. Ce prêtre avait été dans son temple, avait présidé au massacre des siens, au même titre que Megrall, son sous-fifre ou son maître, peu importait. Il ne méritait que l'oubli que professait sa déesse perverse.

Les deux compères n'avaient cependant parcouru qu'une moitié du complexe souterrain. Peut-être auraient-ils dû porter main forte à Kerun, qui se chargeait seul de la seconde partie. Les ordres étaient d'attendre, bien sûr, mais Brendan détestait se tourner les pouces, et n'avoir retrouvé aucun survivant lui rongeait les tripes.

Mathilde était morte, mais il restait Gersande et Sam, a minima. La novice d'Agathe. Marcus et Soren. Les agents de l'elfe.

Et il voulait voir Albérich mort, cracher sur son cadavre, vouer son âme à mille tourments.

Il devait se maîtriser.

Othon avait allongé le prêtre sur le sol. Diane, accroupie, lui dénuda les avant-bras, révélant des tatouages discrets à l'intérieur de ses coudes. Au pli sur son front, Brendan devina qu'elle y reconnaissait un signe.

— On fait quoi ? demanda le Flambeau.

Le chevalier paraissait à la fois éreinté et impatient de retourner au feu.

— On attend, répondit Brendan malgré lui.

L'elfe avait intérêt à mesurer le coût et la beauté de son obéissance. Othon arqua des sourcils surpris et le prêtre espéra qu'il n'allait pas lâcher la phrase qui le ferait craquer. Il n'eut cependant pas le temps de fragiliser sa détermination car, en messager bienvenu de Mivei, Kerun déboucha en bout de couloir. Malgré le sang qui maculait ses vêtements, il paraissait indemne. Rassuré de les voir, aussi, ce que Brendan trouva presque vexant.

— Nos couloirs sont sécurisés, annonça le Mivéan, bravache. Mais nous n'avons vu aucun otage.

— J'ai trouvé Sam, les deux novices, Marcus et un... mes agents. Soren aussi. Je leur ai dit de se mettre en sécurité en attendant que nous soyons sûrs que la voie est libre.

À ces nouvelles, Brendan se sentit à la fois plein d'allégresse et complètement dépité. Tout le monde semblait avoir survécu sauf Mathilde. Un instant, il songea à la jeune femme, sa connivence avec les pies de la cour, son rire lumineux. La rage enfla.

— Nous n'avons trouvé qu'un seul prêtre, intervint Othon, en poussant le cadavre du pied.

— Mais pas n'importe lequel, dit l'elfe. Conrad de Saignenoir, leur chef.

Leur chef. Brendan chercha la sérénité, la satisfaction, pourquoi étaient-elles si volatiles ? Kerun lui-même semblait peu satisfait.

— Nous avons aussi tué une magicienne de mort, compléta le Flambeau. Pas la vôtre. Mais... peut-être celle de Maelwyn.

L'agent parut surpris.

— Celle de Maelwyn ?

— Ou alors une troisième. Mais il y avait des mercenaires parmi ses victimes...

Brendan capta son regard inquiet. Il demeura silencieux.

— Et Mathilde.

Kerun pinça les lèvres.

— Je suis désolé.

Brendan lui rendit sa grimace, incapable de faire mieux. Il sentit la main de Diane se glisser dans le creux de son coude. Othon s'éclaircit la gorge.

— Vu leur nombre de corps, il doit y avoir une grosse opération en cours quelque part. Sans doute cinq non-morts en maraude.

— Nous allons les débusquer, annonça l'elfe d'une voix égale, mais qui manquait de conviction.

— Et Megrall ? gronda alors Brendan, sans pouvoir s'en empêcher.

— Pas vu, mais le Casinite est mort, et la jeune femme aussi. Albérich n'est vraisemblablement pas dans le complexe.

Le ton de Kerun demeurait toujours las, étrangement las, vu la réussite globale de leur intervention. Ils avaient sauvé la majorité des otages. Ils auraient dû, tous, exulter !

— Comment vont les survivants ? demanda Diane.

— Marcus a l'air indemne mais Soren a besoin de soins urgents. Les novices, je n'en sais rien. Sam est blessé, lui aussi, mais moins gravement.

Il jeta un oeil derrière son épaule.

— Je propose que vous alliez les récupérer : Sam et les novices sont dans la pièce voisine de la salle d'eau, deuxième porte à gauche, Soren et Iris un peu plus loin, dans la salle de torture. Je pense utile que vous souteniez Soren tout de suite. Je crois que la magie du Casinite le maintenait en vie, mais à présent qu'il est mort... Je ne sais pas pour combien de temps il en a.

Brendan réalisa qu'il manquait une personne, dans son énumération, le dénommé Martin. Son absence expliquait probablement la tension de l'elfe, en miroir de sa fureur d'avoir perdu Mathilde. Etait-il mort pendant les échauffourées ? Avait-il dû le tuer lui-même parce qu'il avait tourné casaque ? Ou bien les Obscurs s'en étaient-ils débarrassés de longue date ?

— Est-ce qu'on ne devrait pas s'occuper d'abord de Megrall ? demanda Othon.

— Sans savoir où il est, c'est compliqué... mais Marcus pourrait nous éclairer. Je vais le chercher. Retrouvons-nous ensuite dans la salle à manger pour faire le point. Apparemment, les Obscurs avaient l'intention de quitter Juvélys cette nuit, tous ensemble... Megrall va sûrement revenir et nous pourrons le neutraliser.

L'abattre dans son antre, en traître, il ne méritait pas mieux.

— Je peux placer des charmes révélateurs, murmura Brendan. Je sais qu'il est capable de franchir bien des protections, mais il ne s'attend sûrement pas à ce qu'on ait piégé son propre repaire.

— Les otages d'abord, répéta Kerun. Ne traînez pas.

Puis il repartit dans le couloir au pas de course, l'épée à la main.

— La danse de la victoire est prématurée, murmura Othon. Megrall est un gros morceau.

— Qu'est-ce que tu racontes ? protesta Brendan.

— Je te vois dandiner les fesses.

— C'est l'impatience, rien d'autre.

L'impatience et une danse de la victoire, sans nul doute, très bientôt.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant