Les ténèbres pesaient sur le repaire des Obscurs, poisseuses et suffocantes, un peu comme l'air vicié qui embaumait les rues de Griphel. Pour Martin, se complaire dans pareille atmosphère était tout simplement incompréhensible. Aussi, regagner l'extérieur, même via les égouts répugnants de Juvélys, était-il un réel soulagement.
En les arpentant à la suite d'Ensio, Martin frissonnait de dégoût, la main sur le nez, tout en espérant voir surgir Kerun au détour d'un conduit obstrué. Il était persuadé que malgré les pouvoirs latents du Casinite, le petit elfe prendrait le dessus en deux temps trois mouvements, le réduirait à une masse inerte, et sauverait – une fois de plus – le Griphélien malmené. Martin préparait déjà la phrase bien sentie qu'il lui lâcherait lors de ce retour en fanfare. Quelque chose comme : mais t'étais où, au juste ?
Il n'y croyait plus vraiment en réalité. Il ne connaissait pas l'agent, il s'était inventé un héros, des chimères. Mille choses pouvaient le retenir à l'extérieur, plus précieuses que deux Griphéliens pervertis, une magicienne de mort démoniaque et un esclave marqué par treize ans de souillure, victimes, pions qu'on déplace, qu'on sacrifie.
La veille en débarrassant la planque de ses cadavres, il l'avait à peine cherché, et en ne le reconnaissant pas parmi les visages figés, il ne s'était même pas senti soulagé. En revanche, un des corps appartenait au prêtre valgrian qui l'avait soigné à bord du Marsouin, le navire de la marine juvélienne qui l'avait ramené en Tyrgria, après la catastrophe de Mullin.
Le découvrir là, égorgé, l'avait paralysé de stupeur. Il n'avait pu s'empêcher d'y voir un signe, le symbole d'une escapade vers la lumière qui touchait à son terme, d'une tentative avortée, à oublier. Il s'était noyé, autrefois, Aigéan Valtameri l'avait arraché aux profondeurs, cet Valgrian bienveillant – Perran, son nom lui était revenu au coeur de la nausée – avait guéri sa poitrine meurtrie et Kerun lui avait imposé l'exil. Il ne restait plus personne pour veiller sur lui.
À part Ensio.
Depuis que les Obscurs lui avaient annoncé leurs intentions, Martin était taraudé par une question critique : comment avaient-ils su qu'il se prostituait encore ? Bien sûr, le Casinite l'avait reconnu, mais Martin avait prétendu s'être délivré de ses chaînes. L'idée qu'ils aient pu remonter à la Demeure des Soupirs mettait à mal toute la couverture qu'il avait construite avec Iris, cette histoire d'esclave - maîtresse, et si les Obscurs savaient qu'ils avaient menti, pourquoi ne les questionnaient-ils pas sur la cause de ces balivernes ? Pensaient-ils qu'Iris l'avait forcé à travailler et qu'il lui avait menti sur la nature de ses activités ? Ou avaient-ils compris qu'ils ne se connaissaient pas ? Rien de bon ne pouvait en sortir.
Il devait savoir, sans quoi l'angoisse le rongerait durablement. Et fausser compagnie à Ensio seul semblait bien plus réalisable que de s'évader de leur petite planque bardée de sortilèges.
— Comment vous avez su ? demanda-t-il alors.
— Su quoi ?
— Pour le client.
Ensio haussa les épaules.
— C'était marqué sur le registre du Fort. Que t'étais une pute et où tu bossais. J'ai fait qu'aller voir si y'avait quelque chose à y glaner. Et miracle, c'était le cas ! Ta patronne garde une jolie liste qui plairait à pas mal de gens, en fait, comme les scribouillards du torchon que lisent les gens d'ici.
Martin songea à Frieda, à ses anciennes collègues, et sa poitrine se serra. Ensio les avait peut-être toutes tuées, ou torturées de manière abominable, mais s'il posait la question, le Casinite s'interrogerait sur cette curiosité.
— Vous avez eu le registre du Fort ?
— Ouais. Ça nous a aidés à repérer des candidats à la nuit.
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Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
FantasyAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...