49. Brendan

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La présence d'un cordon d'uniformes bleus devant le Temple de Valgrian n'était en rien une surprise : tout Juvélys en parlait, des abords du Parc en passant par les quais, de la salle enfumée des tavernes aux corridors de l'Assemblée, jusqu'au livreur de légumes dans la cour des Mivéans.

Beaucoup de questions, aucune réponse, Brendan s'était demandé si ce brusque débarquement avait un rapport avec la mort d'Hector, d'Urbain, la résurrection improbable d'Albérich. Il s'était promis d'aller voir, mais des fidèles du dieu de la Lumière avaient alors commencé à déferler dans les murs de son temple, déboussolés, à la recherche d'un soutien spirituel.

En quelques heures, de manière inopinée – miraculeuse ? – le sanctuaire de Mivei s'était improvisé centre de crise, sans doute parce qu'il s'agissait de la congrégation religieuse la plus proche du Parc depuis le départ des Himéites. Brendan n'était pas certain que les autorités verraient d'un bon oeil que les Valgrians se rassemblent chez lui, mais les fervents du Destin cultivaient une forte tradition d'accueil et à l'heure où leur culte survivait péniblement, ils auraient été mal inspirés de mettre les gens à la porte. Une invasion inespérée. Le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Brendan décida donc, avec sa poignée de prêtres, que tant qu'ils ne recevraient pas d'ordre clair des autorités, ils laisseraient les choses se faire avec bienveillance. Ils convinrent cependant qu'il fallait aller à la source du désordre et Brendan sortit, laissant ses quelques subordonnés gérer l'afflux.

Il était inquiet, en réalité, très inquiet. Face aux fidèles désoeuvrés, il s'était plié à son rôle, mais à présent qu'il retrouvait l'air frais, il prenait mieux la mesure de ce qui s'était produit. Maelwyn avait-il réellement bouclé les Valgrians, sans explications, par la force ?

C'était de la folie.

Personne n'ignorait que le général avait une dent contre le culte de Valgrian. Selon l'explication communément admise, il ne supportait pas la « mollesse » des adeptes de la Lumière, leur bienveillance naïve, tous ces principes bien jolis mais peu pragmatiques, et l'emprise qu'ils avaient sur la politique et la morale juvéliennes. Il les rendait responsables de bien des maux ayant frappé la cité, l'ascension de Koneg en tête. Brendan n'avait pas cette expérience de ses voisins valgrians. Ils étaient effectivement optimistes, cherchaient le meilleur en chacun, mais il les avait toujours trouvé en prise avec le réel, sans naïveté excessive. Othon prétendait que les causes de l'inimitié du général renvoyaient à des querelles personnelles, des disputes familiales, mais Brendan ne s'y était jamais intéressé outre mesure et n'en savait rien.

Arrivé dans le Parc Circulaire, le prêtre s'arrêta à distance respectueuse des soldats positionnés devant les portes. Les volets des fenêtres étaient clos, à tous les étages. La présence militaire était impressionnante : Maelwyn avait mobilisé de nombreux magiciens, ainsi que des cavaliers en armure complète, et des nuées de fantassins.

Quelle folie, quelle débauche, songea le Mivéan. De quoi a-t-il peur ?

Le général savait sans doute que les Valgrians avaient appris pour Megrall, que Marcus l'avait vu puis disparu. Brendan se demanda si Maelwyn les accuserait de collusion avec l'ennemi, de trahison. Sans doute. Une nouvelle purge en perspective. Personne n'en sortirait grandi. Juvélys avait besoin des Valgrians, il fallait espérer que le général le comprendrait avant qu'il ne soit trop tard.

Brendan adressa une courte prière à Mivei, quelques mots murmurés, puis hésita.

S'il franchissait les quelques mètres qui le séparaient des militaires, il serait refoulé. Mais on le reconnaîtrait. Maelwyn recevrait un signalement : Brendan Devlin a voulu rendre visite aux Valgrians. Il pourrait prétendre qu'Othon était son ami, que c'était une visite de courtoisie après la Veillée Funèbre. C'était quelque chose de très simple, de très vrai aussi. Mais il attirerait à nouveau l'attention sur son Temple, sur ses liens avec ceux qui, aujourd'hui, étaient visés par les foudres du général.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant