97. Kerun

21 5 23
                                    

La nuit avait enseveli Juvélys et le Temple de Mivei. Kerun avait passé la majeure partie de la journée en Transe, n'émergeant que deux fois pour se nourrir. Devlin l'avait installé dans ses propres appartements, au chaud et à l'abri. Passée la frustration initiale de ne pouvoir affronter d'emblée les Obscurs, l'elfe s'était plié à la nécessité.

Il avait recouvré des forces, du courage, sa détermination de fer. Il n'avait pas cherché à analyser pour qui, exactement, il allait sortir affronter l'horreur. Il le fallait, c'était suffisant. Au cours de sa vie, de sa carrière, il avait côtoyé des centaines d'humains, formidables et détestables, des téméraires et des pleutres, des héros et des ordures. Chaleureux, glacés, reconnaissants, jaloux, pragmatiques et idéalistes, des amis, parfois, même s'il en avait trop perdu au fil du temps pour se risquer encore à s'approcher trop près de ces êtres fragiles.

Peu importait que Maelwyn l'ait condamné. Il n'agissait pas pour lui. Il agissait pour les autres. Juvélys, un principe au-delà des individus.

Il l'avait toujours fait, aussi loin qu'il s'en souvienne.

Réfléchis-y, au pourquoi, au comment, lui soufflait une voix distante, dangereuse.

Pas ce soir.

Ce soir, il aidait Brendan Devlin à obtenir justice. Il mettait un terme aux exactions des Obscurs et délivrait Juvélys de leur menace.

Demain, il aviserait.

Maelwyn, Flèche-Sombre, Nora.

Il ne pourrait pas les éviter.

Kerun était reconnaissant, immensément reconnaissant, du soutien qu'il avait trouvé dans le Temple de Mivei. Il était conscient qu'affronter les Obscurs avec un groupe restreint était un risque, mais il en était arrivé au stade où la confiance avait plus d'importance que le nombre.

Il avait revêtu la tenue que lui avait apportée Devlin, ajusté la cotte de cuir, pris quelques minutes pour s'adapter au poids de l'épée. Il était encore fatigué, beaucoup trop fébrile, mais il ne pouvait plus reculer.

Sous ses reins, la mutilation infligée par le néjo le brûlait par intermittence, le muscle raboté s'engourdissait, mais les soins magiques dont l'avait gratifié le Mivéan suffiraient le temps nécessaire. Ensuite, il lui faudrait la puissance d'un Béalite ou, préférablement, le loisir d'offrir une véritable convalescence à son organisme. D'ordinaire, il n'aurait pas eu cette option, car on aurait eu besoin de lui dans l'heure. Mais comment savoir ce qu'il en était aujourd'hui ? Nora savait-elle que Maelwyn l'avait arrêté ? Avait-elle donné son assentiment ? Sûrement pas à l'usage de la violence. Jamais. Le général lui-même l'avait-il cautionné ? Le néjo avait-il agi de son propre chef ou sur l'ordre de quelqu'un ?

Il n'en savait rien. Et il devait surtout ne pas y réfléchir. Un agent se base sur des faits, des informations tangibles, et non sur des supputations. Toute cette brume délétère le détournait de l'urgence. Or, ses facultés ne devaient servir qu'à une seule chose : vaincre. Mais même si Kerun ne soutenait pas l'action des Obscurs, il savait que le général Maelwyn, et son rôle dans la mort présumée d'Albérich Megrall, étaient au coeur de leur malveillance. Peut-être ne pouvait-il pas faire l'économie d'en tenir compte ? De chercher à comprendre ? 

Ça ne change rien à tes objectifs. Tu ne bosses pas pour Maelwyn. Tu bosses pour Devlin, pour Martin et Iris, pour Soren, Sam, Mathilde, Marcus, Gersande, Alice. Quoi qu'ait fait le général, aucun d'entre eux ne mérite ce qui lui arrive.

La porte s'ouvrit et il tourna vivement la tête, comme pris sur le fait d'une errance coupable . Devlin portait déjà des vêtements de cuir sombre, une cape sur les épaules, et sa rapière au fourreau.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant