100. Brendan

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— Vous êtes allé parler avec quelqu'un, lâcha soudain Brendan.

Kerun, devant lui, s'immobilisa. Il faisait sombre et puant, la lumière luttait contre l'obscurité humide d'un conduit oublié. Des rats chicotaient à l'abri des canalisations étroites, hors du halo de leur lanterne.

— Au Temple. Pendant que nous vous attendions.

L'elfe acquiesça, lèvres pincées.

— J'étais obligé d'envisager que nous échouions. Mais nous aurons le temps d'agir avant un éventuel débarquement.

— Maelwyn ?

L'agent secoua la tête avec une grimace.

— J'ai demandé à ce qu'on prévienne Flèche-Sombre. Mais je l'ai envoyé par le haut. Il ne connaît pas bien les passages vers les caves. Il arrivera trop tard.

Brendan s'empêcha de protester, même s'il n'en pensait pas moins. Le commandant elfe était le bras gauche de Maelwyn, et Dunwydd son bras droit, il rameuterait sûrement toute la cavalerie, et pire ! Puis un vent de culpabilité souffla sur ses pensées. Elles étaient inspirées par la face sombre de Tymyr, Kerun avait raison. Ils devaient se faire confiance. Ils avaient tous à cœur de vaincre les Obscurs..

— Nous y sommes presque. Venez.

Ils avaient atteint une curieuse statue en morceaux, à laquelle il ne restait qu'un bras et un semblant de toge. Brendan déposa la lanterne sur son cou tranché. Une arche s'ouvrait à sa gauche, menant dans un conduit parallèle. L'elfe déroula le plan qu'il avait tracé plus tôt. Diane et Othon se rapprochèrent. Plus tôt, la Flamme Nocturne les avait accueillis presque sans surprise, leur avait emboîté le pas sans la moindre hésitation, loin des tergiversations du Flambeau qui, heureusement, s'était tu.

— Le complexe s'organise autour de cette structure ronde, commença l'elfe. L'entrée principale se fait par la rivière, et nécessite de se mouiller, mais le courant n'est pas très fort. Il y a aussi un passage qui entre via cette pièce, et permet de s'enfoncer plus loin dans le quartier nord, mais qui nécessiterait de faire un large détour. Cet accès-ci ne mène qu'en hauteur, c'est la voie que nous emprunterons pour sortir. Enfin, il est possible d'arriver par la salle d'eau, ici, si on a un gabarit qui le permet.

Le sien, en somme, Brendan le devinait.

Kerun s'interrompit, frissonna et passa une main vive sur son visage.

— Tout va bien ? demanda Diane.

— Oui. Je suis juste stupéfait qu'ils aient été si proches... si proches !

La colère flamba chez l'agent, moins forte qu'à son réveil, mais toujours vive. Elle ne s'éteindrait sans doute pas avant qu'ils en aient terminé.

— On doit passer par l'eau, en somme, intervint Othon.

À côté de Brendan, le chevalier ne paraissait pas encore remis de son évasion. Il n'avait pas desserré les lèvres de tout le trajet. Pourtant, son visage reflétait désormais une détermination sans failles.

— D'après Martin et Iris...

Jeunes tous les deux, Martin était blond, mince, Iris était la magicienne de mort de sa vision. Il fallait éviter de les tuer par mégarde.

Sauf s'ils ont changé de bord, songea Brendan, mais il ne le verbalisa pas, car Kerun semblait ne pas pouvoir l'envisager.

— Nous avons affaire à trois prêtres confirmés, dont Megrall, un Casinite, et un chef de cellule plus vieux et donc certainement puissant. Une jeune femme, aussi. Des autres, je ne sais rien, mais ils ont recruté. On peut espérer que leurs nouvelles ouailles ne soient pas très expérimentées, mais nous ne pouvons pas en être certains.

— Quatre contre quatre et du menu fretin, nous avons la surprise, nous allons y arriver, résuma Brendan, empli d'une bouffée de confiance.

Othon lui adressa un regard presque chagrin, il résista à l'envie de lui tirer la langue.

— Si nous voulons les déborder avant qu'ils ne s'en prennent à leurs otages, nous devons sans doute nous séparer, poursuivit Kerun.

— De combien d'otages parlons-nous ? demanda Diane.

— Au moins six. D'après mes contacts, Soren était déjà en très mauvais état il y a plus d'une sixaine, peut-être est-il mort. Nous ne savons pas s'ils ont réussi à convertir certains des autres... S'ils y sont parvenus avec Albérich... Je suppose que tout est possible. Il faudra se méfier de Marcus, de Mathilde... de tous, en réalité.

— Je peux sonder leurs auras, intervint Othon.

— Souviens-toi qu'une aura peut griser sans qu'il y ait lieu de sévir, murmura Diane. La plus pure lumière n'est pas donnée à tout le monde.

— Je sais, répondit le Flambeau. C'est juste une indication. Mon intention n'est pas de massacrer les victimes au même titre que leurs bourreaux.

La Flamme Nocturne hocha la tête, sa brume s'intensifia. Sans doute craignait-elle d'avoir offensé le chevalier. 

— Nous devons couvrir le plus de terrain possible, le plus rapidement possible, continua Kerun, sans s'en soucier. Ces salles, ici, peuvent servir de cellules... mais celles-ci aussi. Il peut y avoir des prisonniers partout. Je propose que vous couvriez cette zone, jusqu'ici... et j'irai de ce côté-là. Si vous trouvez un otage, le mieux est de l'aider à se barricader tant que la voie n'est pas libre. Si c'est quelqu'un d'inconnu, neutralisez-le plutôt que de vous fier à sa parole.

Il releva ses yeux orage, les posa sur chacun d'entre eux mais s'arrêta sur Brendan.

— Je vous en conjure, ne vous laissez pas dépasser par vos émotions. C'est l'arme favorite des Obscurs. Empêchez-les de parler.

— Ce ne sera pas un souci, grommela Othon. J'ai eu ma dose de palabres ces derniers temps.

Le Mivéan s'autorisa un sourire.

— Si nous ne parvenons pas à les éliminer tous, reprit Kerun, notre objectif est de faire le plus de dégâts possibles. Il faut que les renforts, lorsqu'ils arriveront, puissent terminer le travail sans heurts.

— Qu'est-ce qu'on fait s'il en manque ? demanda Diane.

— On avisera à ce moment-là. Martin et Iris pourront sûrement nous renseigner.

L'elfe se redressa, roula la carte et la leur tendit.

— Parés ?

— Plus que jamais, répondit le chevalier en prenant son offrande.

— Que Valgrian, Mivei et Tymyr nous accordent cette victoire, compléta Brendan.

Il se mit ensuite à psalmodier : un coup de pouce du destin ne serait pas de trop. Derrière lui, Othon fit jouer son épée dans son fourreau. Diane incantait elle aussi, en quête de protection. Kerun se dérouilla les épaules et la nuque, puis les salua d'un geste et s'esquiva.

Le chevalier et les deux prêtres franchirent l'arche et gagnèrent la rivière.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant