22. Iris

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Ce soleil. Cette lumière. Juste fermer les yeux et profiter des rayons chaleureux sur sa peau, c'était complètement nouveau, inimaginable, un plaisir qu'on aurait trouvé suspect voire pervers de là où elle venait. Appuyée au pourtour de marbre d'une fontaine frémissante, Iris avait l'impression qu'elle aurait pu rester immobile pour toujours, à simplement se gorger des largesses du printemps. Lumière, sa colombe, partageait son bonheur, elle le sentait dans son corps même, comme une caresse distante, un frisson de joie animale. Elle s'était envolée, puis posée un peu plus loin parmi des congénères, pour picorer dans la pelouse.

Martin était sur la gauche, assis dans l'herbe. Il avait le teint très clair, le résultat d'une vie passée en intérieur sans doute, et s'était affublé d'un chapeau de paille acheté à l'un des nombreux marchands ambulants qui jalonnaient les allées du parc.

Les Juvéliens se promenaient en masse, bras dessus bras dessous, en groupe, en solitaire. Personne ne semblait s'inquiéter des événements sombres des derniers jours et à les regarder, insouciants, Iris venait à se demander si Kerun n'exagérait pas les tensions en ville.

Elle rouvrit les yeux. Un musicien ambulant s'était installé à quelques toises et quelques personnes se rassemblaient déjà autour de lui pour l'écouter. Plus loin à droite, une échoppe proposant des fruits frais connaissait un franc succès. Martin regardait Lumière qui s'était approchée de lui et déambulait sur le gazon en lui lançant des roucoulements intéressés. La mine du Griphélien valait tous les discours : il ne s'était pas encore remis de cette brusque apparition.

Iris elle-même était surprise de la forme qu'avait revêtue son nouveau compagnon. C'était l'expression de quelque chose, elle en était bien consciente, mais qu'elle la trahisse de manière aussi spectaculaire... Elle ne pouvait s'empêcher de se demander si les choses se seraient passées de la même manière à Griphel. Elle savait qu'alors, elle aurait sans aucun doute été confiée aux Casinites dans l'heure. Ceux-ci auraient percé les secrets de son aura et elle aurait été condamnée à la torture et au sacrifice.

Ce n'était même pas une supposition. Ce genre de choses s'était produit plus d'une fois, dans de grandes familles griphéliennes : le rejeton contaminé par la lumière, éliminé dans une cérémonie grandiose, visant à proclamer au reste du gotha que le mouton noir n'est plus et que le reste de la famille est sain. Malsain, en réalité. Il fallait qu'elle réprime ce genre de pensées. Son père, sa mère, son frère... Aucun n'aurait sourcillé. Aucun n'aurait eu pitié, n'aurait plaidé pour qu'on abrège son martyre. Elle n'avait pas eu le choix : Juvélys était la seule destination possible, le seul endroit où elle pourrait vivre ce qu'elle était sans crainte. Enfin... pour autant que les Obscurs lui en laissent la latitude. Vu leur puissance présumée, ils sonderaient leurs auras, immanquablement.

Lumière s'était envolée et posée sur le chapeau de Martin, lequel n'était pas sensible à sa bonne humeur et tentait de la chasser d'une main paresseuse. Elle lui décocha quelques coups de bec, il grommela, et l'enjoignit de ne pas « chier » sur sa tête, ce à quoi elle répondit d'un roucoulement serein.

La scène était comique, et Iris eut envie de la croquer, mais elle n'avait pas emporté son matériel. Son compagnon lui aurait sans doute interdit de le faire, de toute façon.

Soleil. Printemps. Quiétude. Le Temple de Valgrian se dressait un peu plus loin, derrière un rideau d'arbres. Iris brûlait de s'y rendre, mais Kerun le leur avait formellement interdit, car il était toujours gardé par des militaires dont il ne pouvait garantir la bienveillance.

Pour avoir séjourné dans les geôles du fort, Iris partageait son sentiment. Néanmoins, elle regrettait de ne pouvoir aller s'imprégner de la force de la lumière. Dès son départ de Griphel, le Temple de Valgrian avait été son objectif, davantage même que l'Académie du Flux, qu'elle avait imaginée comme un reflet déformé de l'abominable École qu'elle avait fréquentée. Elle voulait fouler le marbre de cet anneau scintillant et parler aux prêtres, faire sens de ce qui lui était arrivé, inopinément, à Griphel.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant