Marcus était conscient de l'importance de sa mission, ce qui ne l'en rendait que plus nerveux. Il n'osait pas imaginer le désarroi que ressentirait Albérich lorsqu'il apprendrait qu'il avait été exposé — et pire, accusé — par les autorités. Il s'était douté depuis le début, il ne l'avait pas caché à Marcus, que la nouvelle de son retour mettrait Maelwyn sur la défensive. Mais être assimilé aux Obscurs qui l'avaient presque détruit, c'était une toute autre paire de manches.
Céleste avait raison : il était critique qu'il puisse venir se défendre en personne et leur prouver, à tous, qu'il était victime d'une campagne de dénigrement visant à affaiblir leur culte et cacher ce qui s'était produit trois ans plus tôt. Quelque part, Marcus en était pleinement satisfait : il brûlait de partager la nouvelle formidable de son retour depuis des sixaines et il allait enfin pouvoir en profiter dans la lumière, avec ses pairs. Ce serait un peu étrange, qu'Albérich rejoigne leurs rangs au moment où ils encaissaient le trépas d'Hector, mais Valgrian avait ses voies, et il fallait l'accepter.
Les jours prochains promettaient d'être difficiles, cependant, il ne pouvait se leurrer. La guerre larvée entre le Temple et le Fort risquait d'éclater au grand jour. Maelwyn serait forcé d'admettre qu'il avait abandonné Albérich dans les ruines de la Tour, sans se soucier de sa survie, et qu'il avait pris sa place au conseil déloyalement. Non, en réalité, Maelwyn n'admettrait rien du tout. Le conflit se jouerait dans le cœur des Juvéliens, entre la lumière et la poussière, et Marcus n'avait aucun doute sur qui l'emporterait. Il se sentait empli d'une joie féroce, après les angoisses de la veille. Ses pairs avaient entrevu la vérité : il ne lui restait plus qu'à forcer l'aube, à présent.
Il entra dans l'ancienne ambassade de Belhime, grimpa les marches à grands pas, atteignit le balcon nimbé de soleil. Le ciel était gris mais quelques rayons fusaient entre les nuages. Albérich était assis sur le parapet, tourné vers la ville. Il poussa un léger soupir à l'arrivée de l'intendant.
« Tu n'es pas venu, hier », dit d'emblée l'ancien Flamboyant, sans se retourner.
Marcus reprit son souffle.
« Non, je suis désolé. J'ai eu... un contretemps. »
Il s'approcha, s'assit près de son ami. Albérich ne lui fit pas face.
« J'ai eu beaucoup à faire. »
Albérich acquiesça mais son regard resta tourné vers l'extérieur, les arbres, les toits plus loin.
« Albérich, les autres... sont au courant que tu es vivant et en ville. »
L'ancien Flamboyant frissonna longuement, avant de lui faire face. Son teint était livide, ses lèvres serrées en une ligne tendue.
« Ce n'est pas moi qui le leur ai dit, se défendit aussitôt Marcus.
— Maelwyn, souffla Albérich.
— Tu dois revenir avec moi. Il est en train de colporter des horreurs à ton sujet. »
Du pâle, l'ancien Flamboyant vira au rouge en une seconde. L'intendant s'en voulut pour les paroles qu'il allait prononcer, mais il était allé trop loin, et les enrober ne servirait à rien.
« Il prétend que les Obscurs t'ont converti. »
Albérich ferma les yeux et se détourna, poings serrés.
« J'aurais dû repartir plus vite. Je me doutais qu'il en arriverait là.
— Je ne sais pas comment il a eu vent de ta présence en ville, murmura Marcus. Mais je suppose... qu'il a des yeux partout. »
Le fracas caractéristique d'un objet qui tombe sur le sol retentit alors brusquement depuis l'intérieur de la villa. Marcus sursauta et regarda derrière son épaule.
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Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
FantasyAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...