106. Marcus

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Il y avait un temps pour se morfondre et un temps pour tenter le tout pour le tout.

Ce temps était venu.

Marcus avait entendu du mouvement dans le couloir, distant, des voix, du fracas, et pendant une seconde, il s'était demandé s'il ne lui suffirait pas d'attendre pour que quelqu'un vienne le délivrer.

Puis il s'était souvenu d'Urbain, le Flambeau qui l'avait suivi jusqu'à la représentation belhimane, que les Obscurs avaient tué, décapité, dont ils avaient jeté le corps dans les égouts, comme un déchet de plus.

Même si on se battait quelque part, rien ne garantissait que les sauveteurs auraient le dessus. Peut-être même ne s'agissait-il que d'échauffourées entre les cultistes eux-mêmes. Il ne fallait pas être Mivéan pour deviner que leur union finirait par voler en éclat, ici ou à Griphel.

Mais peut-être ce fracas était-il le fait d'autres otages qui s'étaient révoltés. Rester immobile alors qu'il pouvait jouer un rôle crucial dans les événements à venir était indigne. Albérich tenait à lui, pour des raisons dévoyées, il devait user de ce levier.

Pour faire quoi, exactement, il ne savait pas. L'impulsion du Marcus d'hier aurait été d'essayer de l'arrêter, de l'empêcher de tuer Maelwyn.

Mais si Maelwyn, après tout, le méritait ?

Il frissonna et jeta un oeil dans le couloir. Les globes valgrians brillaient d'un éclat inédit, aveuglants après tous ces jours de ténèbres, et il se détourna pour s'en protéger.

Respirer. Il ne pouvait pas craindre la lumière.

Il poussa la porte de l'épaule, se glissa par la fente étroite et posa les pieds nus sur la pierre glacée du couloir.

Fuir.

Il s'en sentait incapable. Il ne pouvait pas abandonner Albérich, pas maintenant, il pouvait encore le sauver, le ramener dans le giron de leur dieu, il en était persuadé.

Valgrian éclaire et révèle, Marcus pria pour qu'il lui montre la voie.

Un tracé étincelant apparut sous ses yeux, circula dans le couloir puis s'éleva à travers la pierre. Albérich était monté. Il devait trouver un escalier.

Il avança à pas mesurés, limité par ses fers, scrutant les alentours, inquiet de voir débarquer quelqu'un. Il percevait encore des murmures au loin, mais chacune des portes qu'il dépassait cachait potentiellement un monstre, et la piste le menait en direction de la salle de torture où le Casinite l'avait molesté.

Sa respiration se modifia comme l'angoisse l'envahissait. Il pouvait éteindre le cliquetis des chaînes qui lui liaient les poings en les bloquant dans ses paumes, mais celles qui traînaient sur le sol brinquebalaient dans un tintamarre assourdissant. Il s'immobilisa, le souffle court, éperdu. Il aurait dû renoncer. Cette tentative était vaine. Que ferait-il, une fois face à Albérich ? Il ne pouvait rien. Et Maelwyn, s'il prenait le dessus, le tuerait lui aussi, pour effacer ses traces, comme il cherchait à le faire depuis le début.

Cette terreur, toujours, dont il ne pouvait se dépouiller.

Il devait se contrôler.

Même s'il croisait l'un des Obscurs, rien ne disait que celui-ci oserait s'en prendre à lui. Albérich le protégeait, il en était conscient, et jouissait d'un certain statut parmi ces crapules. Peut-être avait-il tort, en réalité, de s'inquiéter.

Sauf s'il tombait sur Ensio ou l'un de ses sbires.

Par réflexe, il incanta pour invoquer Valgrian et son dieu lui répondit avec vigueur. Il réalisa alors que l'emprise de Tymyr s'était évaporée. Le maléfice obscur qui avait gangréné les lieux n'existait plus.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant