Martin et Iris se mirent en route en début de soirée, après avoir avalé un rapide repas. Kaunia ne s'était pas attardée et ne rentrerait sans doute pas avant la nuit, ce qui leur avait permis de s'esquiver sans avoir à inventer un mensonge supplémentaire. Leur logeuse était bien mal remerciée pour sa bonté et Iris se sentait chaque jour un peu plus coupable d'exploiter sa générosité.
Le point de rendez-vous fixé par Conrad se trouvait, chose étrange, dans le quartier nord, qui accueillait la plupart des bâtiments officiels de la capitale, les délégations étrangères et les associations professionnelles les plus importantes. Dépourvues d'habitations, certaines rues étaient ainsi particulièrement sinistres dans l'obscurité, même si de nombreux gardes circulaient sans doute à l'intérieur des bâtisses.
Iris espérait que leurs vêtements modestes, loin des pourpoints et des uniformes que portaient généralement les Juvéliens du quartier, ne leur attireraient pas une attention malvenue, mais dans le même temps, se glisser dans l'ombre comme des voleurs ne semblait pas la chose à faire. Ils optèrent pour un pas de promenade décidé, traversèrent des esplanades désertes, remontèrent des avenues vides, franchirent des croisements silencieux, où seuls les chats en maraude erraient entre les maisons. La propreté des lieux contrastait avec celle de l'Aprecoeur, encombré, bruyant et chaotique dans ses moindres recoins.
Griphel possédait de beaux quartiers et de nombreuses zones détestables, mais l'intégralité du pouvoir se rassemblait derrière la muraille du Coeur de Casin, là où l'Empereur résidait dans son palais labyrinthique. Il ne s'encombrait guère d'une assemblée ou d'administrations diverses, l'idée-même de recourir à des élections ne traversait l'idée de personne, et toutes les prises de décision se déroulaient officieusement, lors de repas, de rencontres privées, de promenades dans les parcs luxuriants ou d'orgies plus ou moins contrôlées.
C'était du moins ce qu'imaginait Iris, car elle n'avait jamais assisté à ces échanges critiques. Elle avait rencontré l'Empereur trois fois, s'était inclinée dans une courbette étudiée, et avait prié pour qu'il ne la remarque pas. Les rumeurs sur ses appétits charnels étaient terribles, ce dont il se délectait certainement. La jeune femme ne connaissait personne qui ait pu en témoigner en première main.
Griphel était loin et pourtant sa malfaisance coulait dans les rues juvéliennes, derrière le visage de cet abominable Conrad, et de ses desseins monstrueux. Elle avait côtoyé bien pire, mais jamais en catimini, en marge de la légalité. C'était ce qui rendait leur situation précaire, le risque que les Obscurs ne leur accordent pas leur confiance et craignent qu'ils ne les trahissent. Dans le même temps, pourquoi l'auraient-ils craint ? Martin et Iris n'étaient qu'une paire de Griphéliens sans histoire, rien d'autre. Conrad n'avait aucune raison d'en douter.
« Nous y sommes », souffla finalement l'ancien esclave, alors qu'ils atteignaient les grilles d'une vaste villa plongée dans les ténèbres.
On devinait une pierre claire, un porche monumental, un jardin laissé à l'abandon. L'édifice devait faire tache dans cet environnement bien entretenu. Etait-ce symbolique ? Il y avait un blason gravé au-dessus de la double-porte, repris sur les deux piliers qui marquaient l'entrée.
« J'aurais dû réviser mon héraldique juvélienne, souffla Iris à mi-voix, sans parvenir à masquer un léger trémolo de nervosité.
— Pas du tout. Nous n'avons pas à savoir. »
Un soleil resplendissant au-dessus des sillons courbes d'un champ. Très valgrian. Sans doute choisi avec soin par les Obscurs.
La grille s'ouvrit d'une simple poussée, sans émettre le moindre grincement. Martin jeta un regard à Iris, qui le lui rendit en se parant d'une moue hautaine. Il était grand temps de revêtir leurs masques, ils étaient sans doute observés. Il s'effaça pour la laisser passer devant lui, ce qu'elle fit sans se départir de sa grimace.
VOUS LISEZ
Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
Viễn tưởngAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...