31. Urbain

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Urbain était bien placé pour savoir que l'ombre réside dans tous les coeurs. Tous. Sans la moindre exception. Lui-même avait depuis longtemps renoncé à purger le sien, qu'il savait de pierre glacée. Tant que son esprit – son âme – veillait au grain, il ne craignait pas cette noirceur tapie dans sa poitrine. Elle était la source de sa force et de son efficacité, contrôlée par une volonté de fer, centrée sur ses objectifs.

Bien sûr, rien n'avait été décidé, mais il devinait déjà ce qui sortirait de leur conciliabule. La nécessité prévaudrait sur le doute, et il en serait le fer de lance, comme toujours. L'existence de sa lame maudite faisait grincer bien des dents, dans les sphères qui connaissaient son dessein, dans le Temple et au dehors. Tant la garde que les services secrets avaient renoncé à le canaliser, tolérant ses actes en feignant de les ignorer, et dans leurs murs, Urbain sentait l'hostilité des chevaliers les plus droits, dont Othon. Seuls les plus anciens, comme Armand ou Céleste, mesuraient la nécessité de disposer d'un atout libéré.

Même si la liberté confinait à la violence.

Valgrian, lui aussi, comprenait. Et c'était la seule chose qui comptait pour Urbain. Le pardon de son dieu. Son accueil, sa confiance. Le Bien et le Mal. Quelqu'un, parfois, devait se salir les mains.

Il avait à peine connu Albérich : c'était le prototype de l'idéaliste qui n'aurait jamais accepté son existence et qui, une fois Flamboyant, l'aurait même activement combattue. Urbain avait donc veillé à se faire petit et garder ses distances, et Armand l'avait couvert, conscient qu'un contact rapproché n'aurait causé que des problèmes.

Avant la dictature, l'ordre des Flambeaux juvélien avait disposé d'un autre Chevalier de l'Ombre, qui était mort au moment du sac du Temple, dans les premiers jours du coup d'état. Formé à Fumeterre, Urbain avait été envoyé à la capitale dans les mois suivants et s'était efforcé de saper les forces de Koneg sans se dévoiler. Chaque exaction contre le pouvoir se déclinait en répercussions sanglantes auprès de la population, aussi fallait-il agir avec discernement.

Dans les couloirs du Temple, la rumeur prétendait qu'Urbain avait tué le tyran lui-même, après s'être infiltré dans sa garde personnelle. C'était un mensonge – il n'avait jamais réussi à l'approcher d'aussi près – mais c'était une légende utile, et, dans les faits, Urbain regrettait de ne pas avoir été celui qui avait tranché la vie de cette ordure malfaisante. Peut-être aurait-il dû rétablir la vérité, mais il ne se mêlait jamais aux autres prêtres et Flambeaux, se satisfaisant de la vie en marge qu'il avait choisie. Personne pour l'interroger sur cette période, personne pour écouter ses dénégations. Problème réglé.

Céleste. Florent. Armand. Othon.

Le bureau du commandant ressemblait à une grotte feutrée, silencieuse au coeur de la nuit. Les visages accusaient la fatigue et la violence des dernières révélations. Urbain se souciait peu de leur avoir apporté de mauvaises nouvelles : seul importait qu'ils prennent la mesure du danger et, par là, les bonnes décisions.

« La situation est similaire, reprit Armand. Des corps calcinés dont l'identité est pour l'heure inconnue...

— Avec une incertitude sur le nombre de personnes qui se sont trouvées dans l'auberge », compléta Urbain.

Céleste passa les deux mains sur son visage.

« La garde dispose des services d'une prêtresse hildanne, intervint Othon. Elle peut s'assurer de l'identité des morts. Nous devons l'exiger.

— Et demander d'assister à son interrogatoire, ajouta Florent.

— Même en y assistant, nous ne pourrons partager ses visions, murmura Céleste.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant