39. Othon

17 6 12
                                    

Othon lustrait son armure, tentant de faire le vide en lui-même. C'était difficile. Urbain n'était pas rentré, Marcus non plus, le temple et la commanderie étaient en effervescence. Armand lui avait ordonné de continuer les préparatifs pour la Veillée prévue le soir-même mais le commandant s'était enfermé dans ses appartements et n'en était plus ressorti depuis.

Qu'est-ce qui leur avait pris d'envoyer Urbain seul contre les Obscurs ?

Leur déférence envers un Flamboyant qui était mort trois ans plus tôt et dont la carcasse les emplissait d'un effroi immérité. Othon ne l'avait pas connu, il aurait pu accompagner Urbain et frapper avec la même violence, sans arrière pensée. C'était un foutu servant de l'ombre, quoi qu'il ait été autrefois.

En réalité, ils n'avaient aucune preuve que le Flambeau et le prêtre soient morts. Ils pouvaient être prisonniers. C'étaient des Valgrians et depuis le début de la crise, tout le monde s'attendait à ce que les serviteurs du Dieu de la Lumière soient frappés avec plus de violence que les autres. Or, pour l'heure, les Obscurs avaient meurtris les Mivéans et les Himéites. Le temple de Brendan était peuplé d'ombres moribondes et celui de Jehannah demeurait complètement vide. Deux cultes rayés de la carte juvélienne en moins d'un mois, sans espoir clair de guérison.

Les Béalites ne comptaient pas : ils se renforçaient chaque fois qu'ils étaient blessés. Repaire des désespérés, leur sanctuaire ne désemplirait qu'au jour de l'ultime destruction. Les Galludans étaient intouchables. Parmi les cultes principaux de Juvélys, il ne restait que les Valgrians.

Ils résisteraient à la perte de leur Flamboyant, parce que Céleste et Armand s'étaient serré les coudes, parce qu'ils avaient déjà vécu semblable tragédie autrefois. Mais Albérich Megrall ne pouvait que venir pour eux. Sans doute avait-il espéré pouvoir réintégrer le Temple pour mieux les détruire de l'intérieur. Les informations reçues des autorités avaient réduit cet espoir à néant et sa fureur devait être terrible. Sans doute était-il déstabilisé, cependant. Cela leur donnait peut-être un avantage à exploiter.
Il allait de toute façon falloir se mobiliser pour lui faire face car Megrall mènerait sa haine à leurs portes, tôt ou tard.

« Est-ce que ça va comme ça, vous croyez, messire ? »

Othon releva les yeux et se tourna vers Gilles. L'adolescent lui exhiba son plastron avec une grimace.

« Je n'arrive pas à ravoir... cette abrasion, là... »

Le Flambeau musela un soupir et tenta de sourire. C'était pour ces gosses qu'il fallait réussir, les écuyers, les novices, pleins d'enthousiasme, d'énergie, de foi pure en Valgrian et en l'avenir.

« Ça ira, Gilles. Tu porteras ton tabard, de toute façon. »

Le garçon ne parut qu'à moitié satisfait, mais c'était un perfectionniste. Il était temps qu'il participe à une première mission hors les murs. Othon songea au fait qu'on avait failli envoyer deux écuyers avec Geoffroy et Rudolf, pour accompagner Hector à Omneiri. Et ils auraient été tués par des crapules dans l'incendie d'une auberge. Cette seule pensée lui tordit les entrailles et il dut serrer les dents pour ne pas frapper du poing dans son armure.

Si l'occasion lui en était donnée, il fracasserait le crâne de ceux qui avaient osé... auraient pu oser... faire du mal aux gamins.

« Ça va, messire ? »

Il se retourna, réalisa qu'il s'était crispé tout entier devant ses plates. Gilles paraissait inquiet.

« Oui. Oui, ça va. Pardonne-moi. Je pensais à... aux morts que nous veillerons ce soir. »

L'adolescent acquiesça.

« Valgrian les a accueillis, récita-t-il sagement.

— Oui, tu as raison. Valgrian les a accueillis. »

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant