Kerun reprit connaissance, plus ankylosé que jamais. Il avait perdu toute notion du temps. Jour, nuit, un jour, deux, dix, il n'en avait pas la moindre idée. Une chose semblait sûre : Maelwyn n'était pas venu. Personne n'avait déverrouillé sa porte pour lui adresser la parole, le tancer, l'accuser, lui laisser l'opportunité de révéler tout ce qu'il avait appris. Le plus probable était que le général ne s'en souciait guère, qu'il savait ce qu'il y avait à savoir, ou du moins qu'il le croyait.
L'imbécile.
Perclus, affamé, l'elfe regagna la porte, sans chercher à se mettre debout. Ensuite, il s'adossa aux planches, ferma les yeux, guetta le signe d'une présence. L'absence de mouvement régulier, le relatif silence, mais aussi la hauteur du plafond et la forme des briques, lui indiquaient qu'il devait se trouver au second sous-sol. Gigantesques, les caves du fort étaient bâties sur les ruines d'une forteresse ancienne, elle-même érigée sur un dédale de grottes plus ou moins naturelles. Kerun connaissait les trois niveaux de ce labyrinthe même s'il ne pouvait deviner où, exactement, on l'avait enfermé.
Au bout d'une attente interminable, des pas retentirent dans le couloir. Comme plus tôt, le matin-même, ou la veille, un volet s'entrouvrit tout en bas de la porte. Sa gamelle vide disparut. Il se pencha.
— Je dois voir le général.
— Je sais, je sais, répondit la voix, la même que la première fois, revêche.
Kerun chercha dans sa mémoire, second sous-sol, gardien. Un petit homme rondouillard, dégarni, avec des problèmes de vue. Wimbald. C'était à tenter.
— Vous avez passé le message ?
— Ils ont dit demain.
L'elfe étouffa un soupir. Cela n'avait aucun sens.
— Wimbald. C'est votre nom, n'est-ce pas ?
L'autre jura à mi-voix, sans contester.
— C'est très urgent. Des vies sont en jeu. Plus que des vies. Je dois parler au général, absolument, et vite.
— Demain, j'ai dit, répéta le geôlier.
Kerun s'accroupit sur le sol, regarda une nouvelle assiette de ragoût faire son apparition par la fente. Un instant, il songea se fendre, attraper la main de l'autre côté, contraindre le gardien à quelque chose, n'importe quoi. Mais il ne pouvait pas faire une chose pareille. Il avait été arrêté par son propre camp. Ses alliés. Ils devaient pouvoir négocier. Il devait respecter leur autorité.
— Est-ce que vous pouvez me dire s'il se passe quelque chose dehors ?
— Non.
— Non, il ne se passe rien ?
— Non, j'peux rien t'dire.
— Pourquoi ?
— T'es un espion. Les infos, c'est comme... ta drogue. Or t'es puni pour une bonne raison. Tu t'en passeras.
Kerun sentit la colère bouillir en lui et peina à maîtriser sa voix.
— Quelle bonne raison, au juste ?
— Tu dois le savoir. C'est ton job, de tout savoir.
— Et bien justement, en l'occurrence, je ne sais pas.
— Tant pis pour toi. Le général, il est très clair, sur toi.
— Ah ? Et que dit-il ?
— De rien te dire.
L'elfe ferma les yeux, découragé. Le fumet du brouet lui donna la nausée. Il n'avait pas faim, se sentait dans un état de tension insupportable, épuisé, à fleur de peau.
— J'ai été empoisonné, j'ai besoin d'un antidote. Le général le sait sûrement.
— Demain. Tu comprends la langue des humains, non ?
C'était tout bénéfice pour Maelwyn, qu'il soit à ce point diminué. Il serait forcé de faire ce qu'on lui demanderait, sans possibilité de résister à quiconque.
— Où suis-je, exactement ?
— Au bon endroit. Bonne nuit.
La nuit, donc. Les pas s'éloignèrent. Kerun sentit un cri de frustration prendre naissance dans sa gorge, mais il se musela. Une partie de lui-même, fière et stupide, refusait de leur faire ce plaisir. Pourtant, il savait que l'amour-propre n'avait pas droit de cité : seule comptait sa mission.
Des valeurs, Juvélys, détruire les Obscurs avant qu'ils n'aient semé la ruine et la désolation.
Maelwyn finirait par venir, ne fut-ce que pour le plaisir de l'humilier, et jusque là, il fallait qu'il serre les dents.
Sans penser à rien, personne, Iris et Martin, Brendan Devlin, Soren, les Valgrians.
Si tout avait été terminé, on l'aurait libéré, il en était persuadé.
Il s'autorisa un coup de poing sur la porte, un seul, puis emporta sa pitance dans un coin de la cellule. Il manqua trébucher, empêtré dans ses chaînes et son épuisement, mais se stabilisa in extremis. Les lieux empestaient. Cette foutue nuit serait longue.
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Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépuscule
FantasyAttention, ceci est la seconde partie du Printemps des Obscurs... La lire sans avoir terminé le premier tome est absolument inutile. De même, le résumé qui suit contient immanquablement de nombreux spoilers ! *** Après le coup d'éclat des prêtres, l...