33. Cara

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Cara s'assit sur son lit, Tamara prit la chaise, Ned s'appuya à la porte, Willhem resta debout, à marcher de long en large, une manière stérile de dépenser son énergie. La petite chambre n'était sans doute pas le lieu rêvé pour un conciliabule, mais les espaces privés n'existaient pratiquement pas dans les locaux des services secrets, et ils ne pouvaient pas prendre le risque d'être surpris en flagrant délit de réunion clandestine.

De surcroît, les appartements de chaque agent, aussi exigus soient-ils, disposaient d'un charme de silence tissé dans les murs, ce qui garantissait la tranquillité de chacun, à l'intérieur comme dans les couloirs et les chambres voisines. L'endroit rêvé pour comploter et casser du sucre sur le dos de leur supérieure.

— On doit faire quelque chose, répéta Willhem, pour la troisième fois depuis qu'il avait commencé à tracer son chemin fébrile sur l'étroit passage qui séparait les quelques meubles.

— Nous ne savons pas ce qui se passe, intervint Tamara de sa voix dure. Cesse de t'agiter.

Cara sourit de cette réprimande. Willhem grimaça, incapable d'y obéir, et repartit dans le sens inverse. À la porte, Ned le gratifia d'un sourire embarrassé. Comme toujours, ce dernier n'avait rien suivi des derniers événements, peu sensible aux rumeurs, sous-entendus et autres éclats de voix. Sa carrure d'ours, son expression souvent interdite et son absence d'opinions ne poussaient pas aux confidences. Mais quand il avait fallu se mobiliser, il avait répondu présent, bien sûr. D'entre eux quatre, si Cara avait dû en sélectionner un pour défendre sa vie, elle l'aurait choisi lui.

Enfin, peut-être pas tout-à-fait.

Son regard retourna vers Tamara, le froncement de ses sourcils arqués, sa moue orageuse, et Cara sentit son coeur fondre devant tant de mauvaise humeur. Elle aurait voulu lui dire de lâcher du lest à Willhem, mais ce serait pour plus tard, quand elles se retrouveraient dans l'intimité. Ils avaient d'abord des décisions à prendre.

— Kerun a fatalement des ennuis, reprit Willhem. Il m'a dit deux heures. Ça fait toute une journée, maintenant ! Nora a beau dire, c'est pas normal. Elle a l'air de croire qu'il s'est tiré, qu'il a profité de ma naïveté...

— Ta célèbre naïveté, railla Tamara.

— Il m'a dit deux heures, Tam. Deux heures.

— Kerun ne te dit pas tout, lui signala la magicienne.

— Bien sûr, je sais. Mais il m'aurait pas menti.

Il insista sur ce dernier mot, un talent indispensable dans leur branche, mais presque tabou entre eux.

— Willhem a raison, Tammy, intervint Cara. Kerun élude les questions et omet des informations, mais il n'aurait pas menti à Willhem.

La magicienne haussa les épaules et repoussa une mèche de cheveux noirs derrière son oreille.

— Sauf si la vérité était inaudible. Qu'il allait partir plusieurs jours, ce que Willhem n'aurait pas accepté sans essayer de le retenir. Deux heures, en revanche... Il l'a couvert.

— Mais il aurait trouvé un autre moyen pour sortir, s'il comptait vraiment se barrer, protesta l'ancien cambrioleur. Il n'aurait pas eu besoin, justement, que je le couvre : Nora aurait bien vu qu'il avait disparu !

— Tu lui as donné de l'avance : deux heures.

— Kerun s'en sortirait avec cinq minutes, grommela le cambrioleur.

Cara soupira, bras croisés, croisa brièvement le regard de Ned, revint sur Tamara.

— En plus, il avait besoin de matériel, il me l'a dit, poursuivit Willhem. Qu'il faudrait que je lui sorte des trucs de la réserve, que Nora l'en empêcherait. Il m'aurait pas baratiné si c'était pas vrai ! Il jouerait pas comme ça avec la confiance qu'y a entre lui et moi.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant