18. Olathe

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TW : violence

Le rayonnement du sortilège produisait un cocon de douceur, comme s'ils progressaient dans un nuage de plumes tièdes, alors même que le soleil était chiche et le fond de l'air glacé. La petite troupe marchait d'un pas alerte depuis peu après l'aube, mais la pénombre du début de journée ne les avait pas dissimulés longtemps : il semblait que les Obscurs aient décidé de s'installer à l'autre bout de la ville, dans les quartiers les plus désolés. Ce qui n'était, en soi, pas une surprise.

Mais aucun d'entre eux ne s'attendait à ce que la piste mène droit dans le cimetière. Or le charme d'attraction qu'ils avaient tissé, patiemment, sur base de leurs sentiments pour Soren, ne laissait planer aucun doute : leur génie capricieux les attendait quelque part entre les tombes.

Le fil de lumière et d'affection qui les reliait pulsait au rythme d'un coeur blessé, Olathe le ressentait dans sa poitrine et son esprit, une vibration désordonnée qui leur recommandait de se hâter. Elle révélait la souffrance et la précarité de celui qu'ils traquaient, le signe impossible à ignorer d'une agonie probable.

Pour un Himéite, la douleur était chose insupportable, et aucun des cinq chevaliers n'était très vaillant. La route avait été longue et le sentiment effroyable que le sculpteur leur renvoyait sapait petit à petit leur espoir et leur courage. Pourtant, malgré l'urgence absolue de leur intervention, ils ne pouvaient pas se précipiter, au risque de compromettre leur dessein.

Amray menait le groupe, sa longue silhouette dissimulée sous une cape de velours lie-de-vin, la main posée sur le pommeau de son épée formant une bosse disgracieuse dans son accoutrement. Ses épaules capables supportaient la majeure partie du sortilège et ses yeux clairs luisaient de cette piste invisible qu'ils suivaient. L'incantation en elle-même s'échappait des lèvres d'Aoden, davantage porté sur les mystères divins que sur la maîtrise martiale, tandis qu'Aliosha scrutait leur environnement à la recherche d'un danger plus physique.

À cette heure matinale, le cimetière était désert. La plupart des morts récents étaient enterrés hors les murs, car il ne restait plus d'espace dans le site urbain, et seuls les bourgeois et les nobles qui disposaient d'un caveau familial fréquentaient encore ses allées pour de nouvelles inhumations. Quelques fidèles entretenaient toujours la sépulture de proches disparus de longue date, mais les derniers emplacements avaient été comblés pendant la dictature, et le conseil n'avait pas encore tranché sur la manière dont le site devrait être géré.

La nécropole s'étendait sur un vaste espace dégagé, parsemé de mausolées de tailles diverses et de monuments plus modestes, reflets des croyances des trépassés. Les Himéites s'offraient une statue, les Valgrians un arbre, les Galludans préféraient être brûlés et dispersés au vent, ce qui s'organisait sur la placette centrale. Comme la plupart des Juvéliens vénéraient plusieurs dieux, au gré des cahots de leur existence, nombre d'entre eux avaient un choix à poser quand s'approchait la fin de leur existence. La plupart des gens transmettaient leurs désidératas à leur famille, mais certains mourraient inopinément et, parmi les plus pauvres, on optait souvent pour la cérémonie la moins onéreuse, quelles que fussent les croyances du trépassé.

Olathe secoua la tête. Ces pensées morbides n'étaient pas opportunes car elles sapaient le lien d'amour qui les guidait vers Soren. Son fléchissement n'était pas anormal, vu le cadre, et tous, autour d'elle, luttaient contre le poids des lieux, mais ils devaient se reprendre. Soren était vivant, sans quoi il aurait été indétectable, et l'affliction les aurait frappés en écho de sa disparition.

Mais dans quel état, songea-t-elle.

La mort était parfois préférable à la survie, ils le savaient tous.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant