94. Darren

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— Mais je ne sais pas où il est, protesta le général Dunwydd, pour la forme.

Darren savait reconnaître une capitulation. L'officier ne cherchait même pas à le repousser. Ils remontèrent le couloir et descendirent les escaliers monumentaux qui menaient au grand hall. Le Palais de Juvélys étalait sa magnificence aux regards, vestige d'un autre temps, quand les puissants se souciaient peu de la populace et profitaient de leur richesse sans arrière-pensée. Un symbole de l'histoire, superbe et indécent.

Du Palais, ils gagnèrent la grande allée, et au-delà, la rue. Dunwydd avait fait le trajet à pied, Darren se coula dans son ombre, sans s'inquiéter des six soldats en bleu qui les encadrèrent aussitôt, une escorte en ces temps troublés.

Le commandant de la garde n'était pas connu pour son humour, et il ne riait pour ainsi dire jamais. Pourtant, à la minute présente, il avait l'impression que c'était peut-être la seule chose saine et sensée à faire. Tout était désordre, du nord au sud de la ville, sans que rien n'ait l'air de vouloir s'arranger. Ses hommes, ceux de la marine, de l'armée, s'épuisaient en luttant contre des mouvements diffus, invisibles, l'expression d'un mécontentement larvé, qu'ils ne parvenaient pas à juguler.

Il fallait tenir jusqu'au lendemain et à la réouverture du Temple de Valgrian, espérer que cela suffirait pour faire baisser la tension d'un cran.

Le retour des Griphéliens constituait une inconnue de taille : se contenteraient-ils de faire profil bas et de rentrer chez eux, exigeraient-ils réparation pour le tort qui leur avait été fait, Maelwyn tenterait-il de les rattraper ?

Impossible de le savoir.

L'Âprecoeur bruissait de rancoeur et de soulagement. Darren ne savait pas encore s'il faudrait le protéger ou le cadenasser. Il n'était de toute façon pas certain d'avoir les forces nécessaires pour réussir l'un ou l'autre.

Pendant quelques heures, le port s'était embrasé de cris et de fureur, de panique. Les Juvéliens qui y résidaient, les marins déjà en colère après le sabordage de la goélette belhimanne, avaient cru à une invasion. Certains en avaient profité pour saccager et piller ce qui leur tombait sous la main, comme de coutume. De petits groupes s'étaient attaqués aux réfugiés tout juste débarqués. Parmi ces derniers, d'autres, dévorés par des élans légitimes de vengeance, avaient agi avec la même violence. La marine et la garde avaient eu les mains pleines pour canaliser les uns et les autres, interrompre les rixes, sécuriser les biens, défendre les innocents. Parmi les Griphéliens, certains avaient besoin de soins urgents, après des sixaines confinés dans leur prison flottante. Heureusement, les Béalites avaient répondu présents en force pour gérer les blessés.

Le calme était revenu dans le port un peu avant l'aube. Petit à petit, la bienveillance juvélienne s'était exprimée. Des habitants du port avaient apporté des couvertures, de la nourriture, aux rescapés du Cageot. Darren y avait puisé un réconfort immense, avant de retourner au feu.

Le capitaine Valtameri avait évidemment été arrêté et son sort dépendait de la marine. L'amiral Fortebrise et quelques-uns de ses neveux s'étaient déplacés, une réunion d'état-major s'était organisée à l'aurore, à la capitainerie, à laquelle Darren avait été invité. Avec le soleil, la garde avait pu se replier et concentrer ses maigres effectifs sur l'Âprecoeur. Seule Dame Gardesylve, stoïque en dépit du manque de sommeil, était restée pour épauler la marine dans la fouille du Cageot, devenu le cercueil de certains.

Le couler en catimini semblait une option alléchante, soudain. Une solution à court terme, sûrement, mais efficace.

Une silhouette interrompit ses ruminations.

— Général !

La rencontre inespérée, dans la cour du fort, sous le soleil de midi. Il hâta le pas, se para d'une mine décidée, et leva les yeux. Maelwyn le dépassait presque d'une tête.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant