82. Ermeline

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La carte punaisée au mur de la salle de réunion révélait une situation inédite en ville : l'armée, la marine et la garde s'étaient distribué Juvélys comme une large tarte, la première veillant à la sécurité des beaux quartiers et de la zone administrative, la seconde de toute la vaste partie portuaire et commerciale, la dernière des coins plus difficiles, en ce compris les ghettos abritant les émigrés griphéliens, où la tension demeurait vive.

Au coeur de ce beau découpage, le Parc et le Temple de Valgrian étaient passés sous la surveillance exclusive de la garde, mais, Ermeline le savait, sans mandat officiel. Dix officiers s'étaient succédés à la caserne pour exiger que les troupes de Flèche-Sombre se retirent, mais aucun n'avait obtenu gain de cause : le commandant avait décrété qu'il ne déplacerait pas un homme tant que le général Maelwyn lui-même ne serait pas venu en personne le lui ordonner.

Or, le général était invisible — trop occupé, selon ses plus proches collaborateurs — et Darren restait ferme. Son attitude inquiétait autant qu'elle forçait le respect. La présence de la garde avait cependant permis que s'éteignent les émeutes et le calme était revenu, précaire, dans les allées du Parc. Il avait fallu déployer des dizaines d'hommes supplémentaires pour protéger les lieux et empêcher tant les soldats que les citoyens de forcer le passage. Les premiers, pris à partie par les seconds, s'étaient retirés peu à peu, abandonnant le sanctuaire aux uniformes gris.

Le commandant entra dans la pièce, manifestement tendu, et le silence se fit. Falco avait pu se dégager, comme Yann, Lyraël et Mahaut, mais Hagen demeurait au Temple, pour s'assurer que les militaires ne profitent pas d'un instant de relâche pour y retourner.

Ermeline se surprit de l'absence de Mathias mais Flèche-Sombre entra dans le vif du sujet sans attendre. Sa première cible était Mahaut. L'Hildanne ne sembla guère s'en émouvoir.

— Est-ce que vous avez pu examiner le corps avant qu'il soit embarqué ?

Il parlait de Céleste, la vieille prêtresse, et non du soldat de Maelwyn, apparemment l'unique victime des échauffourées matinales. Les hommes du général étaient venus chercher le cadavre de la Valgrianne à la morgue, comme ils s'y attendaient tous. Mahaut avait eu beau protester, ils n'avaient rien voulu entendre et personne n'avait pu s'interposer, car la plupart des officiers se trouvaient encore au Temple. Dans le genre escamotage de preuves, on ne faisait pas mieux.

— Oui, répondit l'Hildanne. Elle a été étranglée à mains nues. C'était une femme âgée, mais il n'y a pas de signes qu'elle se soit débattue, pas de résidus sous les ongles, notamment. Et malgré la position dans laquelle elle a été trouvée, je n'ai pas relevé de signes de pénétration. Il est possible que l'agresseur ait été dérangé avant d'avoir pu faire son office.

— Il l'aurait tuée avant d'essayer de la violer ? intervint Yann. Ça me semble radical.

— Il a pu la tuer sur le coup de la panique, en réalisant qu'il allait être surpris, proposa Ermeline.

— Moi ce qui me semble extrême, hum...

Falco s'empourpra, embarrassé par ce qu'il avait à dire.

— Pourquoi, dans ce temple, qui compte des dizaines de... heu... jeunes femmes... aller chercher Dame Teharra ? Je veux dire...

— Nous voyons ce que tu veux dire, trancha Darren Flèche-Sombre.

Il soupira.

—Nous ne pouvons pas écarter la possibilité que ce meurtre n'ait visé qu'à mettre le feu aux poudres, dit-il. Ce qui a parfaitement fonctionné.

— Tu penses que les prêtres eux-mêmes auraient assassiné leur aînée pour se donner une opportunité de filer ? s'exclama Ermeline.

— Dans ce cas, Maelwyn a raison de penser qu'il y a des Obscurs parmi eux, murmura Yann.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant