9. Marcus

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Sous la ramure fournie d'un érable au feuillage d'un vert presque jaune, Marcus ne pouvait que deviner la rue. La pluie tombait drue sur l'auvent de la petite terrasse abritée, avant de descendre dans la gouttière en gargouillant comme un torrent.

Il s'étira, le sourire aux lèvres, tandis que son compagnon prenait place en face de lui. Le bruit du bouchon qu'on extrait d'un goulot retentit, suivi du chant d'un liquide délicat qui emplit le verre. Il se tourna vers Albérich pour réceptionner le breuvage. Son ami avait toujours eu un goût impeccable en matière de vins, contrairement à lui, qui n'y entendait rien.

« Un peu tôt pour trinquer, peut-être ? » dit-il en humant le parfum fruité d'un blanc pétillant.

Albérich lui décocha un sourire interdit.

« Marcus, il est passé midi », rétorqua-t-il.

Il avait l'air fatigué et il dégageait une légère odeur de fumée, sans doute le résultat d'une cheminée au mauvais tirant. Marcus aurait aimé savoir où il se cachait, mais il n'osait pas poser la question. Chaque chose en son temps.

« Quel est cet endroit ? »

La demeure était magnifique, tout en marbre clair et en arabesques expertement taillées, avec de hauts plafonds aux moulures complexes, un escalier monumental, des boiseries chaleureuses et des planchers ajustés, des vitraux fantastiques d'où explosait la lumière... le tout sous une impressionnante couche de poussière qui trahissait un abandon de longue date.

« L'ancienne représentation de Belhime. Quand ils l'ont fermée, ils ont quasiment tout abandonné derrière eux. C'était une débauche de luxe incroyable, tu n'as pas idée... J'ai supervisé la distribution et la vente de ce qu'ils avaient laissé avec Jehannah, à l'époque... Nous avons fait pas mal d'heureux dans les quartiers moins nantis. »

Marcus lorgna le feuillage éblouissant de l'érable, la rambarde de fer forgé du balcon, les pots en grès dont débordaient des fleurs sauvages.

« Pourquoi sont-ils partis ?

— Une histoire de meurtre. »

L'intendant fit volte-face, surpris.

« Un crime passionnel. Je ne connais plus les détails. L'ambassadeur a tué l'amant de sa femme, quelque chose comme ça. Un membre du personnel, si je me souviens bien. Pour les Himéites, rester dans un bâtiment souillé par ce genre de violence, au nom de l'amour, c'était tout simplement inimaginable. Ils ne voulaient plus rien savoir des lieux. Jehannah était consciente que c'était du gâchis, mais elle ne voulait pas mettre les pieds à l'intérieur... Vu que j'étais toujours à l'affut de sources pour aider les nécessiteux... Je m'en suis chargé. Avec quelques autres, du Temple de Béal et de Dywill, principalement. Tu connais les Belhimans : toujours dans l'excès... Il y avait beaucoup à récupérer et pas mal d'amateurs dans les beaux quartiers. Nous avons divisé le profit entre les Belhimans, les Temples et les gens, tout simplement.

— Je n'ai pas souvenir de cette histoire, remarqua Marcus, surpris.

— C'était il y a six ou sept ans, je pense... Je n'en ai pas parlé au Temple parce que... Nous n'avions besoin de rien, et je ne voulais pas qu'Évrard revendique une partie, sous prétexte que j'étais impliqué. »

La mention du Flamboyant qui avait précédé Albérich, avant la dictature, fit grimacer Marcus. Évrard avait été un chef de file exigeant, imbu de lui-même, et soucieux de dominer la vie religieuse de Juvélys, par tous les moyens possibles et imaginables. Or, Albérich avait raison, malgré les écueils, le Temple de Valgrian n'avait jamais manqué de dons et de reconnaissance. Il demeurait la force divine majeure dans la capitale, sans qu'il soit nécessaire d'écraser activement la concurrence.

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant