61. Martin

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En remontant le couloir courbe de la planque obscure, dans le sillage d'Ensio, Martin fut frappé par une onde de magie de mort, ténue mais indéniable, une vague qui rampait sur le sol, invisible, empoissait l'air, prenait à la gorge. Quelque part entre ces murs, Iris s'adonnait à quelque sortilège monstrueux.

Qu'elle y soit contrainte – car elle l'était, il le savait – l'emplit de fureur, envers les Obscurs, envers Kerun, envers Juvélys et le monde entier.

Il devait s'accrocher à l'idée que ce n'était pas la première fois qu'elle pratiquait cet art macabre. Elle s'en remettrait. Il ne voulait pas se souvenir de sa terreur, dans la maisonnette de Kaunia, à l'idée d'être replongée dans ce cauchemar, la raison d'une fuite éperdue au travers de la mer.

Non. Elle ferait face. Elle était forte. Mille fois plus que lui.

Combattant sa nausée, il pénétra dans la petite pièce où on l'avait mandé. Ensio s'y glissa dans son ombre et referma la porte derrière lui. Il s'agissait d'une salle cossue, meublée avec soin, aux murs arrondis. Nimbée de la lumière chaleureuse des globes valgrians, elle accueillait les conciliabules des trois prêtres expérimentés. Albérich Megrall et Conrad étaient déjà attablés devant un repas plantureux, cuisiné, Martin le savait, par le jeune elfain fébrile.

—Ah, Martin ! s'exclama le plus âgé des monstres.

L'ancien esclave esquissa rapidement une petite courbette, incertain de la conduite qu'il était censée tenir.

— Approche. Prends une chaise.

Ensio s'assit le premier mais il restait effectivement une place libre, ainsi qu'une assiette et de quoi se restaurer. Martin s'installa, inquiet de cette invitation à la cour des grands, et n'osa pas toucher à la nourriture. Le Casinite, à ses côtés, se servit copieusement. Le vieux prêtre poussa une tasse de thé en direction du Griphélien, qu'il accepta en murmurant des remerciements.

— Comme tu le sais, nous avons une mission pour toi.

Il acquiesça. Depuis qu'ils avaient étalé son infamie devant tout le groupe, il avait attendu d'être convoqué. Son passé lui collait à la peau comme une maladie honteuse, dont il ne parviendrait jamais à se dépétrer. Il se rassérénait en songeant que cela lui avait permis d'improviser une scène acide avec Iris, utile, sûrement, pour éviter qu'on n'exploite leur lien présumé.

— Henry de l'Atalante était un de tes clients, n'est-ce pas ?

— Oui.

L'avocat était un amant empressé, embarrassé et pourtant bavard, avec une épouse et des enfants, un sentiment de culpabilité monstrueux, un appétit vorace. Il requérait ses services environ une fois par sixaine, parfois deux, et parfois pour toute la nuit, surtout quand il avait un procès le lendemain et qu'il devait soigner son insomnie. Assurément, de tous ceux qu'il avait plantés lorsque Kerun l'avait arrêté, ce devait être un des plus désemparés.

Mais comment les cultistes le savaient-ils ? Il avait prétendu être le serviteur d'Iris, pas un prostitué en activité. Il travaillait depuis des mois, elle venait tout juste de débarquer. L'idée que leur couverture puisse être en lambeaux lui donna le vertige.

Face à lui, Conrad se contenta de hocher la tête, satisfait.

— Tu vas lui envoyer un message. Lui expliquer qu'en tant que Griphélien en fuite, tu as besoin d'un avocat, au cas où tu serais arrêté. Il consentira évidemment à te voir, il s'occupe déjà de pas mal de tes compatriotes. Tu proposeras de coucher avec lui parce que tu ne peux pas te payer ses services. Et tu le tueras à la faveur de votre transaction.

Glacé, conscient des regards posés sur lui, le jeune homme acquiesça avec flegme, comme si la perspective lui paraissait totalement anodine.

Juste un détail, cependant...

Le Printemps des Obscurs - 2. Un désir de crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant