Partie II - 41. Lemnos

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LEMNOS

La pièce était délicieusement calme. Lemnos ne s'était pas réveillé dans un tel silence depuis de très nombreuses années. À chaque fois, on l'extirpait violemment de sa paillasse en lui criant des ordres en rafale. Certes, il avait tendance à traîner un peu après le premier son de cloche, mais se lever n'était pas si simple ! Il était chaque jour plus rompu de courbatures, plus fatigué, plus amaigri. Il attendait avec impatience le jour où il serait trop faible pour être gardé par son maître... Peut-être que ce jour-là, on le vendrait.

Lemnos se souvint brusquement de l'endroit où il se trouvait. Pas d'esclave zélé d'Adelphe pour lui donner des coups de pieds matinaux ! Il ouvrit les yeux et fut surpris de l'obscurité qui régnait dans la pièce. Il ne se rappelait pas avoir dormi dans le noir depuis son arrivée ici. Une vraie nuit ? Cela méritait qu'on sorte le vin de célébration... Il n'avait même pas envie de sortir de ses draps fins et soyeux. De toute façon, personne ne m'en empêchera. Pouvait-il passer le restant de ses jours en ces lieux ? Pouvait-il passer des journées à paresser de la sorte ? Absolument. Il se rendormit, plus heureux qu'il ne l'avait jamais été.

Lorsqu'il ouvrit à nouveau les paupières, il dut se résoudre à quitter sa chambre. Il avait terriblement faim et n'était pas contre un bon repas de Stanislas. Lemnos rejeta ses jambes hors du lit, et presque aussitôt une pâle lumière emplit la pièce. L'ancien esclave regarda autour de lui et fut intrigué par la grande surface brillante accrochée au mur, juste au-dessus de son oreiller. Il se redressa et ce qu'il vit le fit sursauter.

Lemnos savait qu'il existait des systèmes permettant de refléter une image et de se voir soi-même. Il n'avait cependant jamais trouvé plus efficace que les flaques d'eau. Il n'avait pas accès aux équipements des riches Athéniens pour se regarder. Pour la première fois, il se voyait avec précision.

Il se mit debout sur son lit, curieux, et voulut regarder son torse. Il ôta le vêtement que Camille lui avait donné. Ses ecchymoses étaient bien là, preuve que son reflet ne mentait pas. Il toucha son visage émacié, marqué par la tristesse et l'épuisement, de plus en plus effaré. Il ne pensait pas ressembler à ce point à un cadavre ambulant. Lemnos passa ses doigts dans ses cheveux et soupira : la paille qui recouvrait son crâne ne faisait pas le poids face à la belle coiffure de Charles.

La chambre de Lemnos ne possédait qu'une seule porte. Lorsqu'il se décida enfin à arrêter de se contempler, il quitta son lit et s'étira. Quand ses doigts touchèrent la poignée, la voix de B résonna dans sa tête.

« Vous êtes réveillé, Lemnos.

— Euh... oui.

Je vais donc vous demander quel type de chambre vous ferait plaisir. Dois-je imiter l'époque dans laquelle vous viviez, pour plus de familiarité ?

— Surtout pas ! »

Lemnos était timide et mesuré, mais il ne pouvait pas laisser B faire une chose pareille. Retourner dans son trou à rat ? Jamais !

« Cette chambre est parfaite. Par contre, j'aimerais bien avoir des latrines personnelles et un portrait de Psamathé à côté de, euh... »

Il fit un geste de la main vers la surface brillante.

« Du miroir ? D'accord. Je vais le faire immédiatement. »

Une nouvelle porte apparut de l'autre côté de l'entrée. Des latrines rien que pour moi... Même maître Adelphe n'a pas ce luxe ! Il doit les partager avec ses invités ! Lemnos se tourna vers son lit pour voir le portrait de sa mère de substitution et ne put retenir une exclamation de stupeur. La peinture était si précise et réaliste ! C'était comme si Psamathé était présente dans le cadre.

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