103. Nok

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NOK

Tribu des Balkans près de Marseille, juin 5032 ap. J.C.

Tout se passa exactement comme il l'avait répété.

Nok ouvrit la porte pour laisser son dernier frère en vie et les ernaques entrer. Il resta debout dans un coin de la ville dévastée, le regard vide. Les victimes des mutants tournèrent la tête vers lui avant d'expirer, étonnées de le voir si insensible et immobile.

Le procès se déroula comme dans un rêve, mais Nok n'était cette fois pas en état de choc. Il était calme et concentré, prêt à fuir. Ses jambes lui semblaient extrêmement lourdes et il réfléchissait plus lentement qu'au manoir. Je sentais que B avait accéléré mon métabolisme pour que je ne passe pas pour un escargot auprès des autres, mais à ce point... Il était irrité par sa propre lenteur.

Au moment le plus opportun, Nok tourna les talons et courut aussi loin qu'il le put. Quasiment personne ne réagit. Il entendit Mer lâcher une exclamation de stupeur, mais elle ne lui tira pas dessus. Nok songea qu'elle avait décidé d'être gentille avec lui : il ne fuyait pas si vite que ça. Elle aurait pu l'abattre dix fois avant qu'il ne disparaisse de son champ de vision...

Et maintenant ? Essoufflé, Nok s'arrêta dans des ruines qu'il connaissait bien pour les avoir fouillées avec ses frères. Il s'assit contre ce qui restait d'un mur et reprit conscience du temps, de la réalité. Il avait passé plusieurs heures en pilotage automatique et devait maintenant penser à l'avenir. Je ne sais plus quoi faire... Nok avait promis de passer sa vie à rassembler des puces d'infos pour les mettre en lieu sûr, mais en attendant il devait survivre. Je vais devoir me mettre en quasi hibernation pour ne pas être obligé de manger trop souvent. Il faut quand même que je trouve quelque chose à grignoter ! Nok savait qu'il ne trouverait rien à manger dans ces ruines.

Nok ne bougea pas pendant des heures, surpris que personne ne vienne le chercher. Il regarda le ciel en chantonnant une musique que Philémon avait dû jouer au piano un jour, pendant un apéritif. Dire que tous ses amis étaient déjà morts, où qu'ils soient...

Nok se sentit écrasé par le poids des ans, étrangement conscient de la vie et de la disparition de chacun d'entre eux. Il avait l'impression d'avoir vécu à leur place, et maintenant c'était son tour : il allait se battre et finir sa vie de la manière la plus sereine possible ! En tout cas, je vais essayer.

Après quelques heures de méditation à l'ombre, Nok se leva et marcha vers une autre ville en ruines. Il espérait finir par trouver un repaire inédit à force de se déplacer, et peut-être même une pile de puces d'infos. Voire des bonbons... Il aurait préféré un bon steak cuisiné par Stanislas, mais les vacances étaient terminées.

Nok traversa ainsi trois villes dévastées sans croiser d'ernaques, à son grand soulagement. Il trouva également quelques paquets de gâteaux secs dans une petite maison sans toit. Essaie de ne pas tout manger d'un seul coup... Il engloutit chaque miette jusqu'à la dernière en s'insultant entre chaque bouchée. Son métabolisme était peut-être toujours aussi lent, mais son cerveau voulait manger en permanence. Si je continue comme ça, je suis mort dans deux semaines ! Nok haussa les épaules et jeta l'emballage par terre, où il serait biodégradé par le soleil grâce à un système de destruction programmée à l'ouverture. Oh, et puis, on verra bien. J'ai déjà de la chance, de toute façon !

Après une nuit fraîche passée dans un sofa en mauvais état, Nok poursuivit son périple de ville en ville. Le sable le faisait tousser quasiment sans interruption. Il se faisait mal à la poitrine pour s'étouffer silencieusement au cas où des ernaques traîneraient dans le coin. Nok n'avait pas l'intention de se faire réduire en charpie après avoir tant marché ! Lorsqu'il aperçut de loin un morceau de tissu posé devant quelques bâtiments, il réprima une exclamation de joie. Ses frères n'auraient pas laissé un si beau drap en visitant cet endroit. Ce serait mieux que je ne pense pas trop à eux, songea-t-il avec un pincement au cœur.

Nok courut presque jusqu'à la ville et secoua le tissu pour en ôter les grains de sable. C'est vraiment beau... Je vais le garder pour la nuit prochaine, ça me fera une couverture. Il plia le drap et le posa sur un débris de mur. Le soleil tapait sur sa nuque depuis des heures jusqu'à y laisser une douloureuse brûlure, mais il était trop excité et curieux pour y faire attention.

Au bout de quelques minutes de fouilles, Nok avait constitué un tas assez conséquent de nourriture lyophilisée et avait même trouvé un filtre pour transformer l'urine en eau. Par chance, il avait bu avant l'attaque des ernaques... Satisfait de sa pile de sachets divers et variés – viande, bonbons, légumes, graines –, il se lança à la recherche de puces d'infos.

Il trouva à sa grande surprise un véritable livre dont il ne restait que la couverture. Si je suis dans l'ancienne ville d'une tribu très érudite, je vais trouver quelque chose ! Galvanisé, Nok ouvrit chaque placard et déplaça chaque gravas. Le soir venu, il avait trouvé deux puces d'infos : une sur l'Histoire du Chili à travers les millénaires et l'autre sur les révolutions européennes avant l'an 4000.

Nok s'installa avec un morceau de bœuf séché et la deuxième puce, confortablement assis sur son drap plié.

« Vous avez ouvert la puce 408-W. Mise en place de l'écran. »

Nok soupira d'aise. Il savait exactement quoi demander à la puce, même si la déception serait sans doute à la hauteur de son excitation. Les puces généralistes ne contenaient pas toujours les informations que l'on cherchait.

« Écran mis en place, récita la voix de la puce en affichant une image guerrière.

— Figures non célèbres de la Révolution française, demanda Nok en reprenant une bouchée de bœuf.

— Recherche effectuée. Veuillez choisir une figure.

— Informations sur Charles de Grandchamp du Lys. »

Nok regarda la puce charger les informations sur son ami et retint sa respiration.

Il entendit soudain un bruit de souffle derrière son oreille et se retourna vivement, renversant la puce d'infos au passage. Son pire cauchemar s'était réalisé : un ernaque le regardait dans le blanc des yeux. Le cœur battant de manière assourdissante dans ses oreilles, Nok recula d'un pas. Le mutant ne bougea pas d'un centimètre. Est-ce qu'il est mort ? Est-ce qu'il est aveugle ? Le jeune homme tremblait de tous ses membres. Il était incapable de fuir.

Au bout d'une trentaine de secondes qui lui semblèrent une éternité, l'ernaque poussa un cri aigu et planta ses longues dents dans l'épaule de Nok, trop choqué pour hurler de douleur et d'angoisse. Nok tomba à la renverse et posa une main contre la gueule de l'ernaque dans une tentative désespérée de lui faire lâcher prise. Le gros œil gauche du mutant le fixait avec avidité et de la bave coulait sur la morsure qu'il était en train de lui infliger. Nok fut brusquement submergé d'une souffrance aiguë et cria jusqu'à s'en casser la voix.

Est-ce que je vais mourir ? Après avoir fait tout ça ?

« Charles de Grandchamp du... crrr crrr..., crachota la puce abîmée dans le sable.

— Aïe..., sanglota Nok. Aaaaaaaïe...

crrr... né le crrr crrr 1769... »

Nok perdit connaissance.

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