101. Stanislas

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STANISLAS

Un château dans le Comté de Toulouse, 20 mai 1048 ap. J.C.

« Mon Seigneur ?

— Oui, Stanislas ?

— J'ai trouvé une tête humaine dans un sac amené par Guillot aux cuisines ! Vous devriez aller voir ! »

Stanislas respira profondément et laissa son seigneur et ses invités se précipiter vers les cuisines. Il n'arrivait pas à croire ce qu'il venait de se passer. Sa nouvelle vie lui ouvrait les bras ! Comme prévu, personne ne le suivit à l'extérieur du château. Il salua les gardes en prétextant aller chercher un assaisonnement spécial.

« Toujours en train de récupérer des herbes et je ne sais quoi ! » s'esclaffa l'un des soldats.

J'ai beaucoup de chance que tout le monde m'aime, ici. J'espère que les habitants de Foix seront aussi gentils avec moi !

Stanislas n'imaginait cependant pas passer de meilleurs moments chez un seigneur inconnu qu'au manoir. Il s'était fait tant d'amis ! Il avait passé ses journées à apprendre à cuisiner de nouveaux plats. Malheureusement, il serait obligé de cacher ses connaissances culinaires du futur pour toujours. Changer l'avenir, même gustatif, lui était interdit.

Stanislas trotta une éternité sur le chemin menant vers Foix, celui que lui avait montré B pendant son entraînement. Il avait dû lui indiquer la direction à suivre au moins trois fois tant il était distrait.

Le cuisinier s'assit contre un arbre, complètement épuisé. Mes pieds me font si mal ! Il s'assoupit en écoutant les oiseaux chanter au-dessus de lui. En paix.

« ... tu crois que c'est lui ?

— Évidemment que c'est ce gros lard ! Regarde, il est tout en rouge... C'est bien le même ! »

Stanislas ouvrit un œil, puis les deux. Quatre hommes le regardaient avec scepticisme. Ils sentaient la crasse et leurs habits étaient très abîmés.

« T'as dénoncé Guillot ? lui demanda le plus grand. On a appris ça, et maintenant on te trouve ici ! T'es cuisinier avec lui, hein ?

— Guillot mérite son sort ! répliqua Stanislas. Il a gâché les repas de mon seigneur avec sa viande humaine ! Dégoûtant ! »

Un autre homme du groupe éclata de rire, présentant son sourire édenté au cuisinier.

« Guillot est un imbécile, admit-il en retrouvant son calme. Je m'appelle Eudes, au fait. On avait décidé d'arrêter les bêtises et de se faire oublier, voilà que tu balances notre cuistot... On devrait te tuer, tu sais ?

— Ah non ! s'exclama un troisième homme au visage juvénile. J'ai interdit les meurtres ! »

Il se signa en silence, les yeux fermés, puis joignit les mains. Eudes poussa un soupir à fendre l'âme.

« Bérenger est comme ça depuis qu'il s'est retrouvé par hasard à la messe. Il a peur d'aller en Enfer, maintenant ! Il prie toute la journée !

— Ne tue pas le cuisinier ! le mit en garde le fameux Bérenger. Il faut qu'on soit pardonnés ! Ne rajoute pas un péché de plus, on a déjà fait trop de mal ! »

Eudes grogna quelque chose d'incompréhensible et posa ses mains sur ses hanches.

« Bon. On est cachés dans une forêt assez dense pour ne pas avoir de visites. Bérenger va nous ramener de quoi manger en faisant ses bonnes actions ou je ne sais quoi... Tu vas devenir notre cuisinier, Stanislas, on ne te laisse pas le choix ! Tu remplaceras Guillot, à partir de maintenant ! »

En marchant vers la forêt, Stanislas songea qu'il avait une nouvelle fois évité la mort mais sans l'aide de quiconque du futur. Bérenger, un parfait inconnu dont il avait sans doute cuisiné les victimes, était devenu son ange gardien.

Durant les années qui suivirent, Stanislas trouva assez d'arguments pour convaincre les quatre anciens truands de s'installer à Foix, en pleine lumière. Bérenger rejoignit le diocèse le plus proche et le reste du groupe organisa une soupe populaire gérée par Stanislas. En entendant parler de cette action de bienfaisance, le seigneur de Foix décida de cacher la présence du cuisinier à son ancien employeur et de le faire travailler pour lui, ce qui rendit Stanislas fou de joie. Lorsqu'approcha la fin du siècle, Eudes quitta Foix pour participer à la première croisade avec ses deux comparses, laissant le cuisinier seul.

Quelques années plus tard, Stanislas servait lui-même un excellent morceau de porc aux invités de son seigneur. Ses apprentis n'avaient pas osé apporter la viande eux-mêmes et affirmaient qu'il devait recevoir les félicitations de la tablée. Le cuisinier n'avait pas besoin de leurs compliments, mais il avait accepté d'y aller. Il reconnut l'homme assis au bout de la table. Le seigneur de Foix devint pâle de terreur à l'idée que son noble ami se souvienne de son ancien cuisinier.

Mais Stanislas avait perdu tant de poids en vivant dans une forêt peu accueillante qu'il était devenu méconnaissable.

Il cuisina jusqu'à la fin de sa vie sans revoir ses amis Croisés, solitaire mais heureux. Parfois, il préparait du poisson fumé et un grand sourire éclairait son visage.

BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant