108. Philémon

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PHILÉMON

Paris, 13 juillet 1852 ap. J.C.

« Où étais-tu toute la journée, Philémon ? »

Le gentleman déglutit et resserra ses doigts sur son couteau et sa fourchette. Il avait failli sursauter en réapparaissant à table devant ses parents et – oh, Seigneur – Amélie. Tout s'était déroulé en un éclair : le cyanure, la douleur en mourant dans les bras d'Anna, et soudain le dîner. Le parfum de son amante restait présent dans un recoin de sa mémoire, comme un souvenir qu'aucun paradoxe temporel ne pouvait faire disparaître.

Et, en face de lui, cette horreur d'Amélie. Après avoir vu tant de gentillesse, d'intelligence et d'héroïsme chez Anna, il ne pouvait regarder sa fiancée sans ressentir une terrible douleur au foie.

« J'étais au jardin du Luxembourg, répondit-il à son père pour suivre le schéma de la discussion.

— Pour ?

— Pour discuter. »

Philémon attendit que son paternel plantât violemment sa fourchette dans son morceau de viande. Il ne frémit même pas.

« Encore à distribuer mon argent à n'importe qui, n'est-ce pas ?

— Je n'ai réalisé aucune dépense aujourd'hui, se défendit Philémon. J'ai simplement discuté avec Henri Giffard pour vérifier l'avancement de ses travaux. Son dirigeable volera en septembre.

— Et ? Cela va te rapporter quoi, exactement ?

— Les brevets, la commercialisation... Si je m'associe avec M. Giffard, je gagnerai une fortune.

Si ? »

Allez, c'est presque terminé. Une nouvelle vie s'offre à toi, Philémon ! Écoute encore quelques phrases et tu pourras partir.

« C'est du mécénat, encore une fois, cracha son père avec mépris. Tu ne t'es même pas associé avec ce charlatan, tu n'es que sa banque ! Tu me rendras mon argent au centime près.

— Pour acheter des immeubles ? répliqua Philémon. C'est si peu intéressant. »

Il ressentait un plaisir indicible à mal répondre à son père, maintenant qu'il savait que l'avenir ne pouvait être que meilleur que sa mort, égorgé dans une ruelle.

« Ces vulgaires immeubles te permettent d'avoir un toit au-dessus de la tête. J'ai amassé cet argent pour toute notre famille, contrairement à toi qui le gâches pour ton seul plaisir. Regarde comme tu nous traites !

— Je ne veux pas reprendre l'entreprise, affirma Philémon en essayant de ne pas jubiler.

— Alors va-t'en. Je ne te forcerai pas à travailler pour les Marsanguet si tu ne le veux pas, mais ne compte pas sur moi pour te donner de l'argent si durement gagné. Je ne suis pas un bon samaritain à ta botte. »

Philémon se leva enfin, impatient de partir, et embrassa sa mère sur la joue avec plus de tendresse que la dernière fois. Après tout, elle devrait survivre avec son mari colérique toute sa vie et ses espoirs de petits-enfants s'envolaient avec Philémon.

« Dans ce cas, je ne vais pas vous déranger plus longtemps. »

Philémon s'habilla en silence puis marqua une pause. Il avait terriblement envie de faire quelque chose de complètement fou et impoli. Il attrapa son cartable et retourna devant ses parents.

« Amélie, l'interpella-t-il, et elle sursauta. Vous êtes une ignoble menteuse. Je suis parfaitement conscient que votre grossesse était une invention et que vous pensiez obtenir mon héritage. Qu'avez-vous pu ressentir en constatant que je ruinais mon père ? Je me le demande. En tout cas, je dois vous dire que j'ai connu l'amour après notre rencontre. Mais pas avec vous. »

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