47. Maurice

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MAURICE

Ils s'étaient tous installés dans les canapés et fauteuils de la salle de loisirs, en face d'un immense écran fonctionnant à l'électricité. Maurice n'avait pas le temps – ni le goût – d'étudier la bête, mais il se promit de le faire plus tard.

L'agression de Philémon les avait laissés dans un état de choc. Encore une bonne raison de fuir Agnès comme la peste... Maurice refusait de croire ce que la folle furieuse leur avait raconté par l'intermédiaire de Philémon. Un couteau pour tailler les échardes des tonneaux ? Foutaises ! Ils avaient stocké des pots en argile dans la cave ! Julius y avait personnellement veillé !

Quelque chose ne tournait pas rond, et Maurice savait exactement quoi : Agnès. Agnès tout court. Cette fille veut du sang, ça se voit. Elle avait beau se faire toute petite dans un coin de son sofa, chacun était bien conscient de son existence et de sa culpabilité.

Le scientifique soupira. Combien de temps allait s'écouler avant que la peur ne prenne le pas sur le choc ? Avant qu'Anna ne décide de venger son prince charmant ? Car c'était certain : l'aristocrate allait faire payer cet affront à Agnès dès que possible. Elle s'était entichée du gentleman en cinq minutes et était bien partie pour ne pas changer d'avis. Mais je ne peux pas la blâmer... Si Agnès avait attaqué Galina, je l'aurais dissoute dans de l'acide sulfurique sans préambule.

S'appliquant à ne pas montrer d'émotions, Philémon était coincé entre Anna et Nok sur un canapé. Nok fait un peu le garde du corps de service. Imperturbable, le jeune homme basané bidouillait une télécommande pour lancer leur film. Sur un autre sofa, Charles, Julius et Lemnos regardaient fixement l'écran noir. Charles semblait inquiet, mais pas autant que Julius. On aurait dit qu'il avait pris le Colisée sur un coin de la tête. Il a vu du sang de trop près, lui ! Petite nature. Juka avait pris possession du fauteuil le plus moelleux de la pièce et sa main droite ne quittait pas sa nouvelle robe en cuir agrémentée de deux poches. Au moindre mouvement suspect, elle risquait de sauter sur Agnès et de la poignarder.

De leur côté, Stanislas et Camille parlaient cuisine. Maurice aurait préféré qu'ils se taisent. Leur façon de se réconforter était trop faussement désinvolte. Faisant rempart entre Maurice et Agnès, Eric fulminait. C'est normal... Il a fui la guerre par on ne sait quel miracle, et voilà qu'il se retrouve avec une dingue armée. Ça énerverait n'importe qui ! Ils avaient été témoin d'une tentative de meurtre, ni plus ni moins. Aucun doute là-dessus.

Nok s'éclaircit bruyamment la voix.

« Bon, pour que tout le monde puisse en profiter, j'ai choisi un film muet.

— Pas mal, acquiesça Maurice. On ne sera pas obligés de traduire au fur et à mesure, comme ça. C'est quel film ?

— Vous allez voir. »

Camille traduisit les brèves explications de Nok et tous se focalisèrent sur l'écran. Dès les premières secondes du film, Maurice sursauta.

« Le Kid ! s'exclama-t-il avec un grand sourire. J'adore Charlie Chaplin !

— Chut ! le réprimanda Eric, hypnotisé par l'apparition du nom des acteurs.

— Il n'y a rien à écouter, c'est juste du piano... » bougonna le scientifique.

Maurice était si heureux de revoir ce film ! Il regardait les œuvres de Chaplin dès qu'elles passaient dans les cinémas de Paris. Les scènes défilèrent, créant toujours plus de nostalgie dans le cœur de Maurice. Avec Charlie Chaplin, l'inventeur se sentait plus qu'en sécurité, il se sentait jeune. Il se revoyait au cinéma, jeune diplômé, impatient et intarissable sur la physique et la mécanique. Des investisseurs l'avaient arrosé de billets pour mener à bien ses futures recherches.

BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant