67. Lemnos

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LEMNOS

« Vous allez trouver ma vie minable. »

Lemnos regardait le sol carrelé du palais de maître Adelphe, honteux. Il était pourtant enthousiaste avant cette visite, mais durant leur jour de repos il avait bien réfléchi. Je n'ai rien d'autre à leur montrer que ma paillasse inconfortable et le sol que je récurais. Il ne connaissait pas Athènes. Il avait vu la ville pour la dernière fois plusieurs années auparavant, lorsque l'un des intendants d'Adelphe l'avait mené jusqu'au palais. Il ne savait pas ce qu'il se passait dehors. Y avait-il un empereur ? Un roi ? Une assemblée de citoyens élus par le peuple ? Il n'en avait pas la moindre idée.

« Tout va bien se passer, Lemnos, le rassura Camille. Tu n'es pas obligé de nous parler du contexte historique. Montre-nous juste où tu vivais et à quoi ressemble le palais de ton maître.

— Bon, eh bien... »

Lemnos leur fit faire le tour de l'entrée. Le même carrelage blanc recouvrait le sol à perte de vue. Des colonnes immaculées montaient jusqu'au plafond agrémenté de quelques peintures géométriques. Les murs couleur crème ne portaient aucune décoration.

« C'est assez représentatif de la sévérité de mon maître, expliqua Lemnos. Il ne s'intéresse qu'à ses affaires, enfin... Oh, dit-il en frissonnant, j'ai peur de dire du mal de lui en me trouvant ici...

— Ne t'inquiète pas, le réconforta à nouveau Camille. Il ne pourra rien te faire ! Dis tout ce qui te passe par la tête !

— Je n'ose pas...

— Adelphe c'est idiot, imbécile, moche et méchant, décréta Juka pour l'encourager.

— Oui, tout est vrai ! »

Lemnos éclata de rire, presque soulagé d'avoir entendu ces mots de la part de son amie. Juka était franche ! Si elle ressentait l'aura de cruauté qui emplissait la pièce, alors il avait le droit de haïr Adelphe, lui aussi. Les pensées de Lemnos avaient toujours été terriblement confuses : un jour il voulait se révolter et le lendemain sa fierté s'effondrait et il pensait mériter son sort, ce qui l'avait irrémédiablement poussé à ne rien faire pour s'enfuir. Je n'avais pas à rester dans ce palais. Je suis un être humain et je fais ce que je veux. Juka, la plus libre d'entre eux, l'avait très bien compris.

Lemnos amena le groupe à l'étage supérieur. Des esclaves s'affairaient autour d'invités, leur offrant à boire ou leur proposant de tenir leur toge lorsqu'ils marchaient.

« Ridicule, marmonna Agnès, et Nok acquiesça. Regarde-moi ces imbéciles qui ont peur de faire traîner leurs fringues sur le sol impeccable. Ils pensent qu'ils vont se salir avec quoi ? Ça brille, par terre !

— C'est grâce à moi, dit Lemnos.

— Tu as bien raison de te vanter, gamin, agréa Maurice. Tu as fait un sacré bon boulot ! »

Lemnos releva le menton, fier de lui. Peut-être que savoir nettoyer le sol était une qualité, en fin de compte.

« Par ici, c'est le couloir principal du premier étage, dit-il en s'éloignant des invités d'Adelphe. Les chambres des esclaves sont tout au fond.

— Est-ce qu'on peut voir ? demanda Eric. Je ne m'attends pas au grand luxe, mais ça m'intéresse.

— Ce ne sont que des paillasses sales. » soupira Lemnos en les guidant vers les deux grandes pièces insalubres et plongées dans le noir.

Lorsqu'il ouvrit la porte, Lemnos dut retenir sa respiration. Il avait perdu l'habitude de sentir l'odeur fétide des esclaves mal lavés et entassés au même endroit. Anna se plaqua une main sur le nez et toussa, choquée.

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