69. Julius

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JULIUS

Pour leur dernier voyage de groupe – même si Julius ne doutait pas qu'ils y retourneraient un jour –, les douze larves embuées de sommeil avaient fait l'effort de s'habiller comme des révolutionnaires. Même Anna, qui n'appréciait pourtant pas la décapitation systématique de ses semblables, s'était habillée en bleu-blanc-rouge de haut en bas. Elle arborait fièrement la cocarde tricolore attachée à ses cheveux frisés. Cela en fera au moins une de contente. Je me sens ridicule dans ce pantalon ! Toutes les femmes portaient des robes bouffantes faites d'étoffes hors de prix, ce qui n'était sans doute pas caractéristique d'une population touchée par la famine. C'est un effort... partiel.

« Je comprends que vous vouliez vous sentir belles, commenta Charles, mais vous risquez d'être surprises par ce que vous allez voir.

— On se croirait au carnaval, bougonna Maurice. Le chapeau de Juka est encore plus grand que celui de Philémon.

— Pas autant que le mien ! »

Agnès les rejoignit devant la porte. Ah, je l'avais oubliée, celle-là... Elle portait le couvre-chef le plus extraordinaire qu'ils aient jamais vu. Des broderies tapissaient le chapeau qui se terminait par une plume tricolore. Elles représentaient les hommes les plus célèbres de la Révolution, la guillotine et la prise de la Bastille.

« Merci, B, pour ce chapeau d'un excellent goût, dit Nok. Très jolie guillotine.

Agnès a brodé elle-même ce couvre-chef, se défendit le maître des lieux, qui s'était fait étrangement absent ces derniers temps. Je ne suis en rien responsable de ces décorations macabres.

— C'est vraiment très bien fait ! s'exclama Camille. J'aimerais beaucoup que tu m'en fasses un avec des choses que j'aime.

— Genre Nostradamus ? la nargua Agnès.

— Ou bien des dauphins. » répliqua Camille, embarrassée.

Julius soupira. Les querelles de ses comparses l'amusaient au début, mais il était désormais trop fatigué pour les supporter.

« Allez, c'est parti. » ordonna-t-il en ouvrant la porte lui-même.

L'odeur et la chaleur étaient suffocantes. Charles se cacha le nez avec sa manche.

« Je crois que la fatigue exacerbe la puanteur de Paris... Je suis vraiment désolé.

— B, retire-nous tout ça ! cria Agnès. Ah, soupira-t-elle ensuite, c'est déjà mieux. Bon, on commence par quoi ?

— Les ruines de la Bastille ? proposa Charles. Je vais vous montrer où je me trouvais pendant l'assaut. »

Ils acquiescèrent et suivirent Charles jusqu'à un empilement de pierres.

« J'étais à l'est de la prison, indiqua le révolutionnaire. Par-là, vers la tour tombée par terre. Je me souviens mal de ce qu'il s'est passé après l'assaut... Des cris, des coups d'épée que j'ai réussi à éviter par miracle. J'avais peur, mais Louis m'encourageait... alors tout allait bien.

— C'est mignon, soupira Camille. Vous étiez sûrement très proches. »

Julius ne put s'empêcher de remarquer l'air gêné de Nok.

« Un problème ? lui demanda-t-il.

— Non, dit Nok d'un ton précipité, rien. Rien du tout. Je me demandais juste où se trouvait la guillotine. »

Charles écarquilla les yeux, comme s'il était outré que son ami parle de cet instrument de malheur. Il répondit froidement :

« Nous sommes à l'est de Notre-Dame de Paris, et encore plus à l'ouest d'ici se trouve la Place de la Révolution.

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