49. Camille

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CAMILLE

Camille avait fait très exactement ce qu'elle avait proposé : elle était retournée chez elle. Virtuellement, bien sûr, mais dans un endroit qu'elle connaissait mieux que personne. Elle avait demandé à B de reproduire une journée normale afin qu'elle puisse se sentir à la maison, mais il ne lui avait jamais répondu. Était-il occupé ailleurs ? Sans doute.

Camille avait ouvert la porte menant à des reproductions de chacune de leurs époques et choisi la sienne. Elle n'avait pas vu si d'autres personnes l'avaient suivie. Chacun ses problèmes, je ne vais pas surveiller tout le monde. Elle avait alors directement atterri dans sa chambre, chez ses parents, dans leur appartement du centre de Strasbourg.

Camille soupira et s'allongea sur son lit. Tout cela semblait si réel ! Peut-être qu'elle pourrait même discuter avec sa famille, si ses parents étaient correctement modélisés. Mais, en attendant, la jeune femme allait faire une sieste. Camille ferma les yeux et entendit les aboiements d'un chien dans la rue. Sympa, comme détail.

Elle se força à respirer lentement. Autour d'elle, l'air ne semblait pas se déplacer comme il l'aurait dû. Camille ne parvenait pas à expliquer ce qui la gênait. Un je-ne-sais-quoi d'étrange. L'angoisse qui montait en elle l'obligea à ouvrir les yeux et à se rouler en boule sur ses draps. Ce n'est pas naturel... Ce n'est pas chez moi... Elle se mit à sangloter sans pouvoir s'arrêter. Le sentiment d'avoir été abandonnée la heurtait plus fort que jamais. Elle se redressa, les yeux rougis par les pleurs.

Son ordinateur portable était posé sur son bureau, comme d'habitude. Elle l'ouvrit fébrilement mais l'écran resta noir. Évidemment, évidemment, rien du tout... Camille posa ses mains sur chaque objet de sa chambre, les joues inondées de larmes, cherchant une accroche, quelque chose de familier. Elle connaissait chaque recoin de son petit nid douillet mais n'y voyait plus qu'une image, un tableau réaliste mais factice.

Entre deux manga qu'elle avait lus une bonne vingtaine de fois, Camille remarqua un gros livre qui la sortit de sa transe. Oh. J'ai déjà vu ça. Elle attrapa l'ouvrage et hocha la tête. C'est le fameux livre de Nostradamus. Ce serait peut-être intéressant que je le lise.

Son regard se perdit dans le vide. Non, je le connais déjà par cœur. Je n'ai pas besoin de le relire, il faut surtout que je sache pourquoi je l'aimais à ce point. Il s'agissait sans aucun doute d'un livre important pour elle, sinon B ne le lui aurait pas donné après avoir joué aux dames spatiales. Il lui manquait un détail. Quelque chose. Reprends tes esprits. C'est peut-être caché ici, dans ta chambre. Camille essuya ses larmes du revers de la main et entreprit une enquête très poussée. Aucun recoin de la pièce ne serait oublié.

Après au moins une heure à transpirer aux quatre coins de sa chambre, Camille s'effondra sur son lit. Tout ce qu'elle avait trouvé de surprenant était de la soupe en poudre bon marché. Ce n'était pas l'aliment qui était étrange, mais posséder ce genre de choses alors qu'elle vivait chez ses parents... Elle aurait pu utiliser un mixeur et une casserole, tout simplement. Bizarre. Elle laissa tomber la brique de poudre sur le sol et hésita à retourner au manoir. Hm... peut-être pas tout de suite. Je vais aller voir à quoi ressemble la rue ! La situation avait beau la déranger au plus haut point, elle était curieuse de voir l'extérieur. B avait-il pris le temps de représenter tout Strasbourg ? Toute la France ?

Camille sortit de sa chambre, tendue. J'ai l'impression que c'était il y a une éternité. Elle se retrouva alors face à ses parents, attablés dans le salon.

« Bonjour, Camille. » dirent-ils au même instant.

La jeune femme serra les dents, paniquée. Ce n'est pas réel, ne leur parle même pas ! Elle les ignora et sortit de l'appartement sans un mot. Ils sont vraiment mal programmés... Maman ne m'aurait jamais laissée aller dehors sans bonne raison. Elle descendit les deux étages, stressée mais impatiente. Lorsqu'elle parvint enfin dans la rue, elle lui sembla si morte qu'elle fut obligée de respirer pour se calmer. Oh non, c'est mal fait aussi. Mais soudain, sous ses yeux, des passants apparurent un peu partout sur les trottoirs. Un musicien de rue se mit à jouer de l'accordéon, emplissant l'atmosphère d'une allégresse qui avait manqué à la jeune femme.

« B ? Est-ce que vous êtes revenu ?

Je suis bien là. Je ne suis jamais parti. »

Camille fit la moue. Il me ment.

« Absolument pas, se défendit-il.

— Dites ce que vous voulez. »

Camille ferma les yeux et murmura :

« Est-ce que vous pouvez faire le Marché de Noël là où il est censé être ? S'il vous plaît ? »

Les pas des passants sur le bitume se firent de plus en plus feutrés. Un craquellement constant remplaça l'accordéon. Un violon se mit à jouer des chants de Noël. Camille sentit des gouttelettes glacées toucher sa peau et ouvrit les yeux.

Il neigeait.

La rue était recouverte d'un épais manteau blanc dans lequel les enfants trébuchaient. Les appartements étaient décorés de guirlandes multicolores premier prix. Lorsque le vent fouetta violemment son visage, écrasant avec force des flocons contre ses joues, Camille sut qu'elle était chez elle.

« Merci, B. C'est beau.

Je suis là pour ça. »

Camille pouffa en entendant sa réponse. Oui, peut-être que vous êtes là pour ça. Mais je ne comprends pas encore pourquoi... B avait l'air de devoir les garder enfermés ici. Il ne semblait pas y trouver de plaisir particulier. Un jour, on saura tout sur cette histoire.

Camille décida de profiter de la neige, maintenant qu'elle se sentait mieux. Est-ce qu'il y a une raison pour que je sois plus heureuse dehors que chez moi ? Son appartement était complètement faux, mais la rue n'était pas plus réelle.

« N'y pensez pas, Camille, la prévint B. Cela n'a pas d'importance. »

Je vois. Ça a un rapport avec ma disparition, ou plutôt mon apparition au manoir.

« Soyez honnête, déclara-t-elle à voix haute avec aplomb. Est-ce que je suis morte ?

— ...

— Répondez-moi. Je ne ferai rien de spécial si vous me le dites. Est-ce que je suis morte ?

Non. »

Camille ne sut que penser de sa réponse. Il pouvait très bien lui mentir pour la rassurer. Ce ne serait d'ailleurs pas la première fois. Certaine de ne pas pouvoir obtenir plus d'informations, Camille secoua la tête et se dirigea vers le Marché de Noël, quelques rues plus loin.

BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant