NOK
De longues minutes s'étaient écoulées depuis la rencontre entre Nok, Charles et Eric. Les trois hommes avaient arpenté dans un silence quasi complet quelques pièces du soi-disant manoir, meublé de façon indécemment riche. Je ne sais pas qui vit ici, mais il entendra parler de moi. Personne n'a le droit de vivre dans une opulence pareille... et qui plus est seul ! À leur grande déception, le manoir était minuscule. Il n'y a que les salles où on s'est réveillés... Le jeune homme de 5032 commençait à se demander s'il n'y avait pas un léger problème. Devant l'embarras des deux autres, il se décida enfin à prendre la parole d'une voix forte :
« Récapitulons. Il n'y a aucune sortie, aucune fenêtre, aucune porte ouverte. Nous sommes dans un espace clos.
— Il me semble que oui, acquiesça Eric.
— Ce qui mène à la question suivante : comment a-t-on pu entrer ? » demanda Nok.
Charles prit un air navré en fixant ses pieds cachés dans des bottes noires presque impeccables – et ça se moque des nobles ? Ses chaussures n'ont pas connu l'apocalypse... – tandis qu'Eric s'éventait pensivement. Nok secoua la tête avec irritation.
« Eric, tu me donnes chaud avec ta cotte de mailles. En plus, tu dois suer comme un ernaque en-dessous.
— Bigre, c'est bien vrai, acquiesça le chevalier avant d'écarquiller les yeux. Pardon, suer comme un quoi ?
— Un ernaque ! répéta Nok. Oui, désolé, c'est comme ça qu'on appelle les bovins mutants à mon époque. J'ai l'impression que tu n'as jamais eu à connaître ce genre de choses... La génétique n'était pas votre fort, à l'époque.
— C'est fou. » souffla Charles, pâle comme la mort.
Nok se tourna vers lui avec étonnement.
« Qu'est-ce qu'il y a ?
— Non mais... imaginez un peu ce qu'il se passe ! » s'exclama le révolutionnaire.
Charles se traîna lentement vers un canapé, et Nok le rejoignit avec empressement. Il mourait d'envie de s'installer dans ce siège – malgré sa frustration de voir autant d'opulence –, et l'occasion ne se présenterait pas deux fois. Il avait déjà pu s'asseoir dans un fauteuil pendant une migration des habitants de son village, mais pas très longtemps, et il s'en souvenait si peu...
En 5020, quand la radioactivité avait menacé leur campement, la tribu des Balkans dont il faisait partie avait fui depuis l'ex-Pays Basque vers l'ancienne Marseille. Sur leur chemin, ils avaient découvert une ville en ruines mais admirablement équipée en lits, canapés et autres meubles. Cependant, lorsque les radiations les avaient rattrapés, ils avaient dû partir.
La fuite était le quotidien de tous les peuples terriens, et en cela son village était plutôt chanceux. Pas de migration depuis douze ans ! C'était un record. L'homme assigné au compteur Geiger de la tribu ne repérait plus de valeur alarmante. Un véritable miracle ! Nok se souvenait avec nostalgie de ce jour où ils avaient trouvé un troupeau de vaches non ernaques. Son père et chef du village avait enfermé quelques bêtes dans un enclos surprotégé afin de les forcer à se reproduire. Cela n'avait pas très bien fonctionné, mais de 5029 à 5032 personne n'avait eu à se plaindre du manque de viande. Je pense que peu de populations peuvent s'en vanter.
Il reporta son attention sur Charles qui poursuivait avec véhémence :
« Je ne peux pas croire une chose pareille ! Nous n'avons pas vécu à la même époque !
— C'est seulement maintenant que ça te monte au cerveau ? ironisa Nok avec une moue moqueuse.
— Tu oses en rire ? s'exclama le révolutionnaire de son ton ridiculement dramatique, rouge de colère. Je te signale que cette situation est... terrifiante !

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B
AventuraDouze hommes et femmes se réveillent dans une sorte de manoir dont les pièces changent selon le bon vouloir d'un maître des lieux capricieux, dont les objectifs ne semblent pas... limpides. Après quelques quiproquos, les nouveaux "...