99. Anna

125 18 5
                                    

ANNA

Anna avait une main crispée sur celle de Philémon et l'autre prête à déchirer sa manche tant elle tirait dessus. Elle n'était pas prête à voir Lemnos expirer.

« Au revoir à tous, annonça-t-il avec un grand sourire. Rentrez tous chez vous et... vivez. »

L'ancien esclave avait décidé de prouver qu'il était le plus courageux de la bande en ingérant le poison en premier. Il tremblait à peine en finissant de mâcher une crêpe au sucre, le dernier repas qu'il avait voulu consommer. B l'avait fait apparaître pour lui, même si Stanislas avait proposé son aide. Lemnos avala la dernière bouchée et suça le bout de ses doigts, les paupières mi-closes. Camille avait les larmes aux yeux.

« Au revoir, Lemnos...

— Tu vas vivre aussi, Camille, et ce sera génial ! »

Camille acquiesça sans rien dire, sous le choc. Ils regardèrent Lemnos ouvrir son flacon de cyanure et en déposer le contenu sur sa langue. Anna ferma les yeux en serrant la main de Philémon. Lorsqu'elle osa regarder l'ancien esclave, il toussait et un mince filet de sang coulait de son nez. Anna voulut se lever pour l'aider, mais il écarquilla soudain les yeux et disparut. Camille regarda sa chaise vide avec étonnement, comme si elle ne s'était pas attendue à ce que tout cela fût réel.

« Vous voyez, dit B, c'est très rapide. »

Personne ne lui répondit. Lemnos avait été ce jeune homme timide puis incroyablement brave, et il n'était plus qu'un lointain souvenir. Perdu quelque part dans son époque, déjà mort à celle de B. Déjà mort chez moi, songea Anna en réprimant un sanglot.

« Est-ce que Lemnos a réussi à s'en sortir ? demanda Camille.

— Je ne vous dirai rien de tout cela, répondit B, catégorique. Je ne veux pas que vous partiez malheureux à cause de l'échec de quelqu'un du manoir ! De plus, il faudrait que je vous laisse seuls ici pour aller chercher cette information, et ce n'est vraiment pas le moment. Je pourrais vous mettre en pause, bien sûr, mais tout cela a trop duré. Allez, poursuivez ! »

Camille secoua la tête en repoussant son flacon.

« Je reste ici.

— Moi aussi, et Jules César en prime, ajouta Agnès. On va se marrer ici pendant que vous ferez je sais pas quoi dans vos époques ! Soyez pas jaloux ! »

Anna fronça les sourcils. Je ne savais pas que Camille voulait rester ici... J'imagine que c'est une décision mûrement réfléchie et qu'elle n'a aucun moyen de quitter son appartement sans attirer l'attention. Anna était triste que l'aventure se finît ainsi pour trois de ses amis. Deux. Agnès ne compte pas.

Voyant que personne ne se décidait, Nok ingéra le contenu de son flacon en saluant Charles puis les autres.

« Je n'ai pas grand-chose d'incroyable à dire, désolé. Au revoir... »

Nok parut regretter sa décision au dernier moment, mais son regard devint inexpressif lorsque du sang coula de ses lèvres. Il disparut dans un silence entrecoupé des sanglots de Charles. Le révolutionnaire saisit alors son flacon et le vida sur sa langue dans le même mouvement. Anna fut prise de nausées en regardant les taches de sang laissées par Nok sur la table. Quand Charles disparut à son tour après une agonie d'au moins vingt secondes, elle crut qu'elle allait faire un malaise. Quelle horreur...

« Tout va très bien se passer, Anna, lui murmura Philémon à l'oreille.

— Il a souffert, répliqua-t-elle. Je ne veux pas mourir comme cela !

BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant