66. Anna

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ANNA

« Honorius, Sidonius, lâchez les robes des dames ! »

Anna éclata de rire en tournant sur elle-même. L'aristocrate commençait à apprécier les enfants. Dire que je ne voulais pas en avoir... Mais ils sont si mignons ! Les jumeaux de Julius étaient adorables et pleins de vie – bien qu'ils ne fussent pas réels. Anna prit Honorius dans ses bras, ou peut-être Sidonius. Elle était incapable de les différencier.

Julius leur faisait visiter sa villa. En général, les propriétaires de terres agricoles passaient quelques jours à la campagne puis retournaient à Rome ou dans une grande ville. Julius, quant à lui, préférait le calme de sa grande maison à l'hystérie de la capitale. Il s'y rendait assez souvent pour assister à des courses de chars mais ne dormait même pas sur place. Il avait développé une technique très élaborée pour dormir à cheval sur le chemin du retour.

De la pièce centrale servant à recevoir les invités et à manger jusqu'aux sous-sols emplis de dolia, Julius affichait sa supériorité et son bon goût en matière de décoration. Les mosaïques qui recouvraient le sol étaient plus sophistiquées dans les pièces communes que dans sa chambre, mais elles représentaient tout de même les quatre saisons dans toutes les salles. D'après Julius, les mosaïques étaient plus grossières dans les pièces intimes comme la salle d'eau car aucun invité n'était censé les voir. Les murs étaient peints avec soin et portaient des motifs floraux.

« Ça doit coûter tellement cher de faire poser toutes ces mosaïques ! s'exclama Camille. Vous devez être très riche !

— Ce sont les murs qui ont été difficiles à financer. Les mosaïstes ne coûtent pas grand-chose. Ce n'est que le sol, après tout. »

Anna eut un rire nerveux. C'est une drôle de façon de penser... Pourtant, les mosaïques étaient bien plus belles que les peintures qui recouvraient les murs. C'est trop rouge, en plus. Les quatre saisons, c'est joli ! Anna songea que Julius avait de la chance d'avoir deux beaux enfants pour égayer sa villa. Sinon, quel vide terrible... Le Romain leur proposa un repas préparé par Benedicta, sa servante.

« C'est votre esclave ? demanda Lemnos, l'air extrêmement irrité.

— Je n'ai aucun esclave, répliqua Julius. Comment peux-tu penser ça de moi, Lemnos ? Alors que je t'ai dit que tu devais te rebeller contre ton maître ? Benedicta est ma domestique. Je la paie et elle peut dormir dans sa chambre personnelle. Elle assiste à mes repas lorsque je n'ai pas d'invités. »

Lemnos acquiesça en silence et sourit à Julius. Malgré tous les efforts déployés par le Romain pour avoir l'air menaçant et insensible, il se révélait un père de famille sympathique et généreux, sans aucun esclave autour de lui. Ils s'installèrent à demi allongés sur des banquettes moyennement confortables. Anna se demanda comment elle allait pouvoir manger et digérer, pliée en deux et tordue comme elle l'était. Benedicta, une femme d'âge mûr coiffée d'un sage chignon, leur apporta des poulets rôtis entiers et des bouteilles de vin. Eric se servit un grand verre d'alcool et le but d'un trait... avant de tout recracher.

« Morbleu ! rugit-il. C'est infect ! Qu'est-ce que c'est que cette horreur ?!

— Je ne comprends pas votre problème, marmonna Julius.

— C'est coupé à quelque chose ! Mais à quoi ?

— A l'eau de mer, comme tout le monde le fait. »

Eric se lança dans une tirade interminable pour exprimer son dégoût envers cette tradition.

« On ne coupe pas du vin avec de l'eau de mer ! conclut-il, aussi rouge que le breuvage.

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