MAURICE
Comme il l'avait prédit, Maurice prouva qu'il était capable de resuspendre de la poudre dans de l'éthanol et de faire bouillir le tout. Lorsque la mixture passait à l'était gazeux, le scientifique saisissait et enfilait un masque à gaz. Il attrapait la bouteille avec des gants isolants et la brisait sur le sol devant les agents soviétiques. Ils se mettaient à tousser et à pleurer, et Maurice en profitait pour fuir.
Inratable.
Fier comme un coq, Maurice écouta tout de même les conseils de B pour refaire sa vie en Chine sous un autre nom. Il était étonné de cette proposition, d'ailleurs.
« C'est pas la guerre, là-bas ?
— Je parle des régions reculées, bien sûr, expliqua B en se grattant la tête. Je ne vais pas vous envoyer au quartier général de Mao alors que vous êtes recherché par l'URSS !
— Alors trouve une autre solution, gamin, parce que je vais m'ennuyer dans les montagnes. »
B avait ensuite bien réfléchi et proposé à Maurice d'aller en Inde. Maintenant que ce pays avait gagné son indépendance, personne n'allait venir l'ennuyer pour des questions de politique.
« J'avais dit que je ne voulais rien avoir à dire à des mangeurs de gelée, mais si l'Inde ne leur appartient plus... ça peut aller.
— C'est un pays magnifique, Maurice, affirma B avec un grand sourire. Je me suis intéressé à la vie d'un habitant d'Inde juste avant de vous rassembler ici.
— Et il ne mourait pas comme un idiot celui-là, pas vrai ?
— Il a été assassiné, soupira B, mais le meurtrier a été condamné à la pendaison. Je ne pouvais pas influer sur deux vies à la fois en le sauvant ... »
Maurice commençait à comprendre comment fonctionnait le système quantique du peuple de B. Bien sûr, il n'avait aucune idée du mécanisme scientifique de ce qui lui arrivait, et il ne le saurait jamais puisque B n'y pipait rien non plus. C'est bien la peine de se farcir l'université si c'est pour ne pas comprendre ce qu'on fait !
« Je vous entends penser, lui rappela B en faisant la moue.
— Alors tu dois savoir que j'ai faim ! s'exclama Maurice. Ramène-moi dans la salle à manger, va. Stanislas a dû nous préparer quelque chose.
— Il n'est que trois heures de l'après-midi !
— C'est bien une heure pour manger dans un pays quelconque, avec le décalage horaire ! » répliqua le scientifique.
En vérité, aussi étrange que cela puisse paraître, il avait surtout envie de retrouver les autres. Maintenant que son destin était entre ses mains et qu'il ne s'en sortait pas mal du tout, il voulait savoir comment ses amis appréhendaient l'avenir. Je suis confiant. Il n'y a que quand je suis confiant pour moi-même que je m'inquiète des autres, c'est bien normal !
Maurice trouva Nok et Charles assis l'un à côté de l'autre en silence. Ils ne semblaient même pas tristes, juste... calmes. Le scientifique haussa les sourcils et s'éclipsa discrètement vers la salle de jeux. Décidément, ces deux rigolos sont encore plus bizarres que d'habitude !
Tous les autres étaient rassemblés sur des canapés devant un film d'action que Maurice n'avait pas eu l'occasion de voir. Il s'installa à la seule place libre, près d'Agnès.
« Une raison particulière pour que les deux dingues soient ailleurs en ermites ? lui demanda-t-il à voix basse.
— Laisse tomber, répondit Agnès en levant les yeux au ciel. Ils ont décidé de se faire passer pour des poètes maudits. Ils ont compris le sens de la vie et de la mort, ils sont trop loin pour nous.
— Hm... d'accord. »
Maurice soupira. Qu'est-ce qu'ils vont encore nous faire ? Ça sent les timbrés qui vont refuser de rentrer chez eux, là. Il espérait tout de même voir Charles et Nok se sauver et refaire leur vie. Allez, soyons fous ! Il souhaitait même que le révolutionnaire vive pleinement son amour avec son extrémiste adoré. Il le mérite, franchement. C'est dommage que Louis soit obligé de mourir, par contre. Comment réagirait-il s'il devait laisser Galina se faire tuer, lui aussi ? Il refuserait sans doute de rentrer, comme Agnès. C'était évident.
À la fin du film, qui racontait les aventures d'un groupe de super-héros avec des pouvoirs hallucinants, Maurice décida de se renseigner sur la situation de ses amis.
« Qui a encore besoin de s'entraîner, ici ? Vous êtes tous prêts ?
— Je dois progresser en combat, admit Anna en s'enfonçant dans le canapé, respectueusement blottie à quelques centimètres de Philémon.
— En combat ? s'étouffa Maurice, interloqué. Tu te bats contre quelqu'un, toi ?
— Anna détruit le méchant, affirma Juka, et Maurice accepta immédiatement de la croire car ses yeux lançaient des éclairs.
— Lemnos s'enfuit par une dalle brisée dans le mur du palais de son maître, raconta Camille. Ça se passe très bien ! »
Maurice était fier de voir que Lemnos allait sauver sa peau sans encombre. Dire qu'il lui avait mal parlé en le rencontrant ! Ce gamin en avait en réserve.
Lors du dîner, Charles et Nok eurent enfin l'air plus éveillés et sociables.
« Vous êtes prêts aussi, vous deux ? leur demanda Maurice.
— On n'a pas envie d'en parler, répondit Nok sans agressivité. Ça se passera comme ça doit se passer.
— Ah, vous faites les philosophes mystérieux, maugréa Maurice. Vous vous dites que ça porterait malheur d'y penser, pas vrai ?
— Oui oui. »
Je ne suis pas sûr que tu me dises la vérité, gamin. Mais bon, au moins, Charles n'était pas en train de crier de désespoir à table. Son était s'améliorait grandement !
« Je vais devoir apprendre à parler hindi, déclara Maurice pour entretenir la conversation. Et cette fois, pas de triche comme avec B qui a aidé les trois zigotos à parler français ! Il faut que je m'en souvienne parfaitement quand je serai de l'autre côté.
— Tu vas finir en Inde ? demanda Nok. C'est décidé ?
— Tout-à-fait. Eh, B, comment on dit Bon appétit en hindi ?
— Attendez que je code tout ça, murmura le jeune homme en bougeant les doigts dans le vide. On dit कृपया भोजन का आनंद लीजिये !
— Je suis mal. » soupira Maurice.
Le repas se déroula dans la bonne humeur. Maurice alla se coucher le ventre plein en songeant que le bœuf lui manquerait, en Inde.

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B
AdventureDouze hommes et femmes se réveillent dans une sorte de manoir dont les pièces changent selon le bon vouloir d'un maître des lieux capricieux, dont les objectifs ne semblent pas... limpides. Après quelques quiproquos, les nouveaux "...