97. Philémon

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PHILÉMON

Philémon accompagnait Anna vers la prairie. L'aristocrate lui avait affirmé que Juka allait souvent chasser dans la forêt pour passer le temps et se défouler. Elle voulait lui dire qu'elle s'était à nouveau entraînée contre Renaud et qu'elle était fin prête à lui donner une bonne leçon – en vrai, cette fois-ci. Sur le chemin, ils aperçurent Julius, ses deux fils, Agnès et Camille.

« Pensez-vous qu'ils sont en train de discuter ? demanda-t-il à Anna.

— C'est fort possible. Sidonius et Honorius sont si mignons ! »

Philémon soupira intérieurement. Dire qu'Anna n'aurait jamais l'occasion de devenir mère ! Elle allait devoir se cacher quelque part en France, ou à l'étranger, et passer le reste de sa vie dans la solitude. Comme moi, certes, mais je ne rêve pas d'avoir d'enfants. Le vide relationnel qui constituerait son existence n'était pas un problème. Même si ce n'était pas très galant de sa part, il avait passé plusieurs nuits à réfléchir et des heures à discuter avec Maurice et Nok : il avait soupé des femmes de son époque ! Philémon serait poli avec Amélie mais il n'en voulait plus pour femme. Hors de question. Elle ne mérite pas mon respect, Maurice a parfaitement raison. Il se sentait revivre, mais plus seul que jamais.

Les vraies femmes se trouvaient au manoir ! Juka pour sa force et son esprit aventurier. Camille pour son calme et sa prudence. Agnès qui, malgré ses problèmes, était pleine de bon sens, de répartie et de courage. Toutes ces femmes représentaient des facettes qui lui plaisaient, contrairement aux mensonges et à la ruse écœurante de sa fiancée. Et Anna, Anna...

Philémon jeta un coup d'œil à l'aristocrate qui souriait en regardant les enfants jouer à empiler des pierres dans l'herbe. Anna était pleine de surprises. Lorsqu'il l'avait rencontrée, elle avait pris la situation en main. Ensuite, elle s'était retranchée par peur de connaître son passé. Puis, lorsqu'elle avait découvert qu'on l'avait agressée, sa volonté avait repris le dessus. Elle avait appris à se battre physiquement, ce qu'aucune femme ne faisait à son époque dans le château de Fontainebleau. Anna était impressionnante.

Dans d'autres circonstances... Avec moins de politesse et de réserve... J'aurais peut-être pu lui dire ce que je ressens. Ses sentiments naissants allaient rapidement être tués dans l'œuf. Ils ne vivaient pas au même siècle, faisaient partie de la même famille – ce qui était toujours moins terrible que de tomber amoureux de quelqu'un mort depuis trois-cents ans – et n'avaient pas le temps de se découvrir plus avant au manoir. Philémon ne pouvait décemment pas demander de faveurs à Anna alors qu'il leur restait au maximum une semaine ici ! Ce n'était pas acceptable. Une demoiselle devait avoir tout le temps du monde pour prendre une décision sentimentale. De plus, il l'avait sèchement éconduite quelques jours auparavant. Je ne mérite pas une femme comme elle. Je suis plus changeant que le pire cliché misogyne !

« Ave, Honorius ! s'exclama Anna. Ave, Sidonius ! »

Les jumeaux se mirent à piailler en latin et mirent un coup de pied joyeux dans leur pile de cailloux. L'une des pierres atteignit l'épaule de Camille qui grogna, surprise. Philémon n'entendit aucune réaction venir d'Agnès et se tourna vers elle, horrifié. Ne me dites pas qu'elle dormait !

Tout se passa en quelques secondes.

Agnès se redressa brusquement. Sa tête se tourna vers Anna et les jumeaux. Ses yeux voilés par le sommeil s'allumèrent d'une lueur maniaque en un quart de seconde et elle sauta sur ses pieds. Agnès poussa un hurlement guerrier, persuadée d'être attaquée, et se jeta sur Anna pour l'étrangler. L'aristocrate ne produisit pas un son. Philémon courut vers Agnès pour tirer sur ses bras en criant plus fort qu'elle, complètement paniqué.

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