JULIUS
Julius gardait les bras croisés, inquiet. B le fixait avec un mélange d'angoisse et de volonté, une expression qu'il arborait presque tout le temps. Le jeune homme planta ses yeux dans les siens et déclara :
« Je n'ai pas désiré laisser dans votre mémoire certains événements.
— Comment cela ?
— J'ai fait le tri. Certaines choses étaient trop tristes pour que vous puissiez vivre sereinement au manoir, alors...
— Comment ?! s'écria Anna. Vous m'avez laissé un vague souvenir d'agression et vous avez lavé la mémoire de Julius ? Pourquoi ai-je dû subir ces réminiscences et pas lui ?
— Parce que vous êtes bien plus forte, admit B. Vous avez été capable de vivre avec ce sentiment de souffrance et n'avez pas désiré rentrer chez vous. Julius aurait craqué au moindre détail...
— J'ai le droit de savoir ! » s'irrita Julius, vexé d'être considéré comme quelqu'un de faible.
B semblait tergiverser. Et si le maître des lieux lui avait raconté n'importe quoi depuis le début ? Peut-être n'était-il qu'un paysan sans le sou, ou qu'il avait épousé cette prostituée. Quelle horreur...
« Dites-moi ce que vous imaginez de votre passé, hésita B en faisant la moue.
— Eh bien, dit Julius avec agacement, j'ai dû me blesser ou mourir d'une maladie quelconque. Et mes fils, alors ? Où sont-ils allés, après ma mort ?
— Restez bien assis, Julius. » lui ordonna B.
Le Romain échangea un regard troublé avec Lemnos, assis deux places plus loin. Il ne lui avait manifestement rien caché, et heureusement. Bon. Si personne d'autre n'est au courant, c'est bien moins humiliant à entendre. B semblait terrorisé à l'idée de faire son annonce.
« Julius, vos souvenirs les plus récents sont en réalité assez anciens. Lorsque vous êtes décédé, euh... »
B était très embarrassé.
« Je suis désolé... mais vos deux fils étaient morts depuis huit mois. »
Non. Julius s'effondra sans prévenir sur son voisin, Nok. Un bruit assourdissant emplissait ses oreilles. Il avait terriblement mal au cœur.
« Mes... mes fils..., balbutia-t-il, mes enfants... mais pourquoi ? »
Il voyait flou.
« Ils ont attrapé la tuberculose. » précisa B, ce qui noya un peu plus son cerveau dans le désespoir.
Pourquoi ? Le Romain distinguait des formes floues autour de lui. Il était entouré de tous les résidents du manoir. Anna pleurait à chaudes larmes.
« Ils étaient si mignons, si beaux ! se lamenta-t-elle.
— Silence, marmonna Julius, nauséeux. Ne me parlez pas, je ne veux plus rien entendre ! Je ne veux même pas voir la moindre image de ma villa sans mes enfants à l'intérieur... Dites-moi juste comment je suis mort. Je ne vous demanderai plus rien.
— Vous sortiez d'une course de chars, raconta B d'un air contrit. Vous marchiez dans les rues de Rome pour retourner chez vous avec quelques fleurs pour garnir la tombe de vos enfants, lorsqu'un cheval est passé près de vous et vous a mis un coup de sabot en pleine tête. »
Julius acquiesça lentement, mais sa respiration se fit de plus en plus rapide.
« C'est pathétique, mais vous savez quoi ? Je suis heureux d'être mort. Je remercie ce cheval de tout mon cœur. Il n'est pas possible de vivre sans mes fils. »
Stanislas et Anna poussèrent une exclamation de stupeur. Julius était conscient d'avoir asséné quelque chose de choquant, mais il s'en moquait éperdument. Une douleur étrange lui serrait la gorge. Pas le choc de savoir ses enfants morts, non. Plutôt l'horreur de la situation : il ne pouvait rien faire.
« Donc je suis bloqué ici avec mes enfants morts qui se promènent dans ma fausse villa. Si je retourne chez moi, je peux choisir de ne pas me faire tuer par ce cheval, mais mes fils ne seront toujours pas là. Si je reste au manoir, je dois passer l'éternité à penser à eux en attendant de perdre la raison. Si je mets immédiatement fin à mes jours, je retournerai dans le monde réel. »
Lemnos le regarda avec tristesse.
« J'aimerais ne plus rien être sans attendre l'éternité, déclara Julius avant d'être pris par un rire nerveux.
— Arrêtez de ricaner, le pria Anna, c'est angoissant ! »
Mais Julius ne pouvait plus s'arrêter. Ses larmes entrecoupées de hoquets éveillèrent à nouveau le désespoir de Camille, qui rejoignit le concert de pleurs. Lemnos ne savait plus où donner de la tête. Il courait de l'un à l'autre en essayant en vain de les consoler.
Soudain, Julius sentit une forte tension au niveau de son front. B le regardait droit dans les yeux, la main tendue vers lui.
« Bien. Je n'ai pas le choix, Julius. Je vais devoir vous faire oublier les derniers événements, encore une fois. Vos fils, votre crise... Camille, je vous demande de vous calmer, sinon Julius risque de vous demander ce qu'il se passe et la situation se répétera.
— D'accord, dit Camille en reniflant. Désolée. »
B ferma les yeux et Julius écarquilla les siens. Des souvenirs très précis défilaient dans son esprit. Il avait regardé sa mort sur l'écran. Le coup de sabot de ce cheval... quel manque de chance ! Tout le monde le fixait avec appréhension. Allons bon, ils ont l'air terrifiés alors que ce n'était qu'un coup de patte ! C'est un accident. C'est loin d'être aussi horrible que la mort de Juka.
« Vous avez apprécié les rues de Rome ? demanda Julius pour détendre l'atmosphère. C'est beau, n'est-ce pas ?
— Euh..., hésita Camille, qui avait étrangement les yeux rouges, sur l'écran ? Les rues sur l'écran, c'est ça ?
— Bien sûr, s'énerva Julius. Je suis resté attentif devant vos histoires, et vous n'avez pas regardé la mienne ?
— Si, évidemment, dit précipitamment Philémon. C'était magnifique, et le Colisée aussi ! C'était très intéressant de le voir de l'extérieur après y être entré pour voir cette course de chars. On vous voyait en sortir après une course, et c'est là que le drame a eu lieu...
— Me voilà rassuré. »
Étrangement, sa mort lui apportait une certaine sérénité. Il n'avait pas envie de faire un scandale auprès de B comme Camille. Les autres étaient si faibles ! Moi, je n'ai pas peur de ma vie.
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B
AdventureDouze hommes et femmes se réveillent dans une sorte de manoir dont les pièces changent selon le bon vouloir d'un maître des lieux capricieux, dont les objectifs ne semblent pas... limpides. Après quelques quiproquos, les nouveaux "...