JUKA
Juka avait passé la pause dans un état second. La panique la submergeait presque. Elle se sentait aussi mal que devant les fantômes, ou lorsque tout le monde parlait et qu'elle ne comprenait rien. Comment faire pour voir sa propre mort ? Ses propres erreurs dont elle était désespérément consciente ? Est-ce qu'Anna allait aussi pleurer sur son épaule, après ?
Heureusement, Stanislas s'assit à ses côtés. Le gros bonhomme savait la rassurer comme personne, avec un simple regard. Il lui sourit sans un mot et Juka se sentit prête à assister à sa honte et son agonie. J'ai fait quelque chose de mal, ça je le sais... mais après ? Elle espérait que personne ne la jugerait.
Même si sa torpeur l'avait empêchée de discuter avec les autres pendant la pause, elle avait entendu ses amis critiquer le jeune homme sans relâche. Certains n'avaient pas hésité à lui dire qu'il s'était comporté comme un enfant avec son père et qu'il devait le respecter. Ils n'ont pas tellement tort. Elle n'avait pas saisi toute la conversation qui s'était déroulée sur l'écran, mais le père de Philémon amenait à manger chez eux et permettait à sa famille de vivre tandis que son fils lui volait des choses pour rien. Enfin, je crois que c'est quelque chose comme ça. Philémon avait ensuite expliqué qu'Amélie lui avait menti sur sa grossesse, puis Juka n'avait plus rien compris.
Elle jeta un regard à Stanislas, qui souriait toujours. Peut-être qu'il ne comprend pas ce qu'il se passe, en fait. Il doit se dire qu'un miracle aura lieu et que je ne vais pas mourir devant tout le monde, contrairement aux autres. Cette pensée la fit sourire jusqu'à ce que la clairière s'assombrisse. B annonça que tout le monde entendrait les dialogues en français, puisque personne ne parlait la langue de Juka. Cette dernière remonta ses genoux et posa son menton dessus, pétrifiée.
Actuel Liban, automne 6103 av. J.C.
Juka s'était levée à l'aube pour pêcher. Elle avait laissé sa mère terriblement malade à la maison – son père s'occuperait d'elle en son absence. Le soleil brillait timidement à travers les nuages. Les feuilles des arbres se tintaient de rouge et tombaient dans l'herbe. Encore un danger supplémentaire : si quelqu'un entendait les feuilles craquer sous ses pieds, Juka serait découverte.
Elle évita soigneusement le groupe de pêcheurs qui se dirigeait vers la rivière principale et se rendit à son ruisseau secret de prédilection. Elle brandit son harpon et observa l'eau rapide en silence, alerte. Rien. Juka attendit jusqu'à ce que le soleil réapparaisse dans le ciel et se mordit la lèvre. Décidément, ce n'était pas une bonne journée ! Et cela faisait des jours que le ruisseau n'était pas fertile en poissons...
Elle remonta vers la source, bien plus haut que d'habitude. Ce qu'elle vit lui glaça le sang et lui donna un haut-le-cœur.
Un ours mort gisait au milieu du ruisseau, déversant sa pourriture dans l'eau. Il était si informe que Juka ne savait pas s'il était tombé là il y a des jours ou des heures. Heureusement que je n'ai rien pêché en bas ! Quelqu'un aurait pu tomber malade. Elle aurait sans doute achevé sa pauvre mère avec un poisson vicié... Juka revint bredouille au village après un dernier coup d'œil à la répugnante carcasse.
« Juka, quel grand malheur ! »
Juka se tourna vers la doyenne du village.
« Je sais, ma mère ne va toujours pas mieux. »
La vieillarde secoua la tête avec ferveur.
« Ce n'est pas ça ! Juka, fille du Feu, écoute ce que j'ai découvert ! »

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B
AventuraDouze hommes et femmes se réveillent dans une sorte de manoir dont les pièces changent selon le bon vouloir d'un maître des lieux capricieux, dont les objectifs ne semblent pas... limpides. Après quelques quiproquos, les nouveaux "...