109. Charles

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CHARLES

Paris, 17 mai 1794 ap. J.C.

Charles se retrouva subitement avec un discours révolutionnaire à la main, le goût répugnant du cyanure au fond de la gorge. Le monde lui parut plus riche : les odeurs et les couleurs étaient plus réelles qu'au manoir, plus nombreuses. Il avait l'impression d'être un humain amélioré, après des semaines fausses et orchestrées. Mes amis étaient réels, mais moi... mon enveloppe corporelle... Il se sentait plus vivant que jamais, à présent.

Tout ça pour mourir. Quel dommage.

Charles regarda en silence Louis revenir dans leur chambre en cachant la fameuse lettre de dénonciation derrière son dos.

« C'est bon, le discours est correct, dit Charles.

— Impeccable ! Je vais devoir l'apprendre par cœur, maintenant.

— Tu veux que je te lise le discours plusieurs fois ? proposa-t-il en ignorant sa tentative peu discrète de dissimuler la lettre sous le matelas.

— Oui, ce serait gentil. »

Louis ferma les yeux et posa une main devant sa bouche pour se concentrer. Charles crut qu'il n'arriverait plus à prononcer une seule syllabe. Dire qu'il avait passé tant de jours sans lui... Ses mèches rebelles, son dos légèrement courbé sur le côté... Charles se sentait bête mais à sa place. Enfin à sa place. Au lieu de rougir jusqu'à l'implosion, il lut :

« Bien. Le peuple doit aller encore plus loin ! Cette Révolution ne doit pas être celle des bourgeois, mes amis ! Robespierre doit être dépassé ! Je sais que vous le trouvez extrême, parfois... mais il faut aller encore plus loin ! »

Charles aimait ces instants privilégiés avec Louis, mais le temps filait entre ses doigts. Nul besoin de perdre de précieuses minutes avant l'arrivée de la milice de surveillance locale à l'aube.

« Louis, ouvre les yeux. » lui demanda-t-il.

Son ami le regarda avec étonnement puis irritation. Il détestait être coupé en pleine inspiration.

« Quoi ? Ne me dis pas que c'est fini ! Je voulais parler du calendrier républicain, tu m'avais promis !

— Je sais que tu as reçu un message disant que je suis noble. »

Louis essaya de lui adresser une expression naïve mais sembla vite préférer la sincérité.

« Je n'y crois pas. Tu n'es pas pourri jusqu'à la moelle comme eux.

— Non, effectivement, c'est pour ça que je suis parti ! Je sais que tu ne vas pas accepter quelque chose d'aussi terrible, mais je dois être honnête avec toi. »

Louis resta assis sur son lit, complètement abattu. Pour la deuxième fois de sa vie, Charles voyait les convictions de son ami voler en éclats. Il ne faut pas que j'aille trop loin, je n'ai qu'une seule chance... B ne viendra pas recommencer la scène...

« Tu sais, il y a peut-être du mauvais en moi, ajouta Charles. On ne peut pas se débarrasser de son éducation aussi facilement...

— Ne me ménage pas, répliqua Louis avec un regard dur. Que ce soit clair, je considère ta famille comme des traîtres qui se sont gavés sur le dos des citoyens et du peuple, mais... tu es mon meilleur ami. Je ne laisserai pas la milice te prendre et te guillotiner, c'est compris ? »

Charles se retint de crier.

« C'est pourtant ce qui va nous arriver ! ne put-il pas s'empêcher de dire. Ils vont nous décapiter tous les deux !

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