STANISLAS
« Émincez cet oignon. »
Stanislas prit l'oignon des mains de Juka et lui montra le mouvement à réaliser avec le couteau. La jeune femme hocha la tête plusieurs fois et se mit à découper le bulbe avec des gestes un peu trop brusques.
« Voilà, c'est plutôt bien, un peu violent mais efficace. Ensuite, mettez l'huile dans le récipient...
— Zavonek zé ! répliqua Juka en saisissant le pichet d'huile que lui désignait le cuisinier.
— Pardon, je sais que vous ne comprenez pas ce que je dis, mais ça m'aide à me souvenir de la recette. Maintenant, on attend que ça chauffe. »
Le récipient plat, que Stanislas avait toujours appelé friteuse, était posé sur le feu. Le cuisinier rassembla devant lui les oignons épluchés et émincés et acquiesça en silence, satisfait de ce que faisait son amie. C'est un travail honnête, sans plus. Stanislas devinait que Juka n'avait jamais cuisiné de sa vie. Il était impossible d'être aussi malaisée avec un couteau sans avoir laissé cette tâche aux autres depuis sa plus tendre enfance ! Il lui semblait avoir compris que la jeune femme pêchait des poissons en cachette et retournait discrètement fabriquer des pots. Oui, donc elle ne s'occupe pas de ces poissons, en fin de compte. Il eut une petite moue amusée et se promit de lui apprendre à cuisiner ce qu'il lui avait fait au grand repas collectif. Elle a eu l'air d'apprécier.
Stanislas passa sa main au-dessus du récipient d'huile pour vérifier sa température. Satisfait, il fit signe à Juka de jeter les oignons dedans et elle s'exécuta sans broncher. Lorsque de l'huile frissonna et jaillit sur son bras nu, elle poussa un cri de douleur et recula de plusieurs pas. Le cuisinier secoua la tête, compréhensif.
« Eh oui, ça pique ! »
Juka prit conscience qu'il s'agissait d'un phénomène naturel. Stanislas profita de son hésitation pour remuer les oignons dans la friteuse, tenant la cuillère en bois du bout des doigts pour éviter d'éventuelles projections. Le cuisinier ne sentait plus la morsure des gouttes d'huile bouillante avec toutes ses années de pratique, mais il ne voulait pas effrayer Juka en lui paraissant invincible. Le plus normal possible.
La jeune femme le regarda mélanger les oignons et s'approcha avec précaution.
« Il faut préparer le chaudron. » annonça-t-il en se redressant.
Il regarda autour de lui et soupira. Pas de chaudron.
« Chaudron. » répéta Juka en se frottant les mains d'impatience.
Stanislas sourit, heureux de constater que son amie appréciait de cuisiner avec lui. Était-ce la bonne odeur des oignons dans la friteuse qui la mettait de bonne humeur ? Ou bien la perspective de manger, tout simplement ? Juka répéta le mot chaudron plusieurs fois et Stanislas comprit qu'elle en demandait un au maître des lieux. Peut-être que cela fonctionnera...
Un chaudron de taille acceptable apparut aux pieds de Stanislas.
« On peut s'attendre à tout, ici ! Eh bien, c'est reparti... »
Il ôta la friteuse des flammes et la posa sur le sol. Un grésillement se fit entendre. Juka s'éloigna du récipient en grimaçant, effrayée à l'idée de se faire brûler, et s'attela à remplir le chaudron avec des pichets d'eau. Elle doit connaître ce genre de chaudrons... sans doute.
« Girofle ! Gingembre ! S'il-vous-plaît. »
Les ingrédients apparurent à leur tour devant lui et il les tendit à Juka.
« Pourriez-vous les découper et les mettre dans l'eau du chaudron ? »
La jeune femme le regarda froidement. Mince... Il déglutit en se demandant comment lui expliquer ce qu'elle devait faire mais Juka lui arracha les condiments des mains. Elle déchira les clous de girofle en plusieurs morceaux et les jeta dans l'eau. Elle cassa le gingembre en deux moitiés sur son genou pour ajouter le condiment, ce qui dut lui arracher la peau de la jambe. Stanislas écarquilla les yeux.
« Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire ! »
Il récupéra les bouts de gingembre et les découpa en petits morceaux avec son couteau. Son visage s'éclaircit d'un sourire attendri. Décidément, Juka allait avoir besoin d'un bon cours de cuisine ! La jeune femme leva les yeux au ciel en affichant ouvertement son orgueil.
Stanislas saisit le chaudron et le plaça sur les flammes avant de montrer du doigt les oignons dans la friteuse.
« Il faut les mettre dans l'eau aussi. »
Juka hocha la tête et prit la poignée de la friteuse en main. Elle pencha le récipient au-dessus du chaudron, y versant par la même occasion de l'huile d'olive. Bon, on va dire que c'était un premier essai... Stanislas ne put s'empêcher de saler et poivrer la préparation lui-même. Si elle se trompe dans les quantités, ce sera immangeable... Lorsque les oignons furent disposés dans l'eau, le cuisinier s'assit devant le chaudron et posa ses mains potelées sur son gros ventre.
« Et maintenant, il faut patienter. »
Juka le rejoignit devant le récipient et s'assit en tailleur. Stanislas n'osait pas la regarder par peur de l'embarrasser. Il lui jeta des coups d'œil furtifs et Juka prit vite conscience de son petit manège. Elle le regarda avec curiosité.
« Je suis désolé ! » s'exclama Stanislas avec honte.
Juka haussa les épaules et s'abîma dans la contemplation du chaudron, indifférente.
Ils restèrent assis devant leur futur repas sans dire un mot. Stanislas n'était pas quelqu'un de patient. Il était habitué à s'affairer de tous les côtés en cuisines, donner des ordres, commencer à faire du pain s'il n'avait rien d'autre à faire. Il était inédit pour lui de rester devant un plat. J'aimerais tellement discuter avec Juka pour passer le temps ! Leur incompréhension mutuelle devenait pesante.
« Pourrions-nous avoir de quoi dessiner ? implora-t-il le maître des lieux.
— C'est prêt. »
La soupe ? Stanislas secoua la tête en se relevant. Non, c'est impossible. Il trempa la cuillère en bois dans le chaudron et goûta un morceau d'oignon. Cuit à point.
« C'est un miracle !
— Je ne voulais pas vous faire attendre. Vous allez maintenant garder cette soupe au chaud jusqu'à l'arrivée des autres.
— Des autres... ? » bredouilla Stanislas.
Lorsque les murs se mirent à changer de couleur, le cuisinier ferma les yeux. S'il s'agissait encore d'un changement de lieu, il ne voulait pas en être témoin. J'ai le vertige... Il sentit Juka se cogner contre son bras, déséquilibrée par la modification du décor. Il faut que ça s'arrête !
Lorsque Stanislas osa entrouvrir les paupières, sa surprise fut grande. Juka et lui se trouvaient maintenant dans une réplique de la salle à manger de son seigneur. De hauts murs de pierre abritaient la grande table centrale montée sur des tréteaux. Stanislas repéra le chaudron à l'autre bout de la pièce, toujours posé sur le feu allumé par Juka.
« Il faut s'occuper des croûtons. » annonça-t-il en invitant la jeune femme à le suivre.
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B
AdventureDouze hommes et femmes se réveillent dans une sorte de manoir dont les pièces changent selon le bon vouloir d'un maître des lieux capricieux, dont les objectifs ne semblent pas... limpides. Après quelques quiproquos, les nouveaux "...